« Quelqu'un disait d'un homme très personnel : il brûlerait votre maison pour se faire cuire deux oeufs. »

→ Ce que je pense de Pompéi.
Pompéi, ce n'est qu'un point sur une vaste carte. Ce n'est guère une cité qui soucie un homme comme Tiberius. Elle est accessoire, satellite et, en vérité, relativement inutile à ses ambitions. Il n'a qu'une seule raison de s'y trouver : sa sœur, Helvia, pour laquelle il a abandonné ses charges romaines. Il n'a guère l'intention de fixer son fief à Pompéi, quelle que fût sa population, quel que fût ses charmes.Toutes les lieues qu'il a parcourues pour y parvenir n'ont d'ailleurs qu'un seul but : joindre Helvia à sa cause et l'emmener, par le gré ou par la force, jusqu'à Rome.

→ Ce que je pense de la politique.
Tiberius est d'abord un soldat, et tous les soldats savent que la politique est un monde fait pour les hommes qui y sont nés. Son père, Aulus, ne s'en mêlait guère et ne l'y voulait d'ailleurs pas. Il imaginait certainement un avenir de galons pour son unique héritier mâle, volonté que Tiberius ne souhaitait jamais contrarier, au demeurant. Cependant, sa rencontre avec Lucius Munatius Plancus, pendant sa garnison en Egypte, a précipité son sort en dehors des rangs et dans les coulisses des jeux de pouvoir. Il a sagement suivi les guerres intestines entre Octave et Marc Antoine, et quoi qu'il n'ait jamais compris tous les rouages de cet univers, il a su acquérir une place précieuse dans l'ombre de l'ancien consul. Tiberius était d'ailleurs sur le point de rencontrer Octave quand la mort de son père a précipité son chemin jusqu'à Pompéi, en même temps qu'il devenait Auguste. Alors la politique de cette minuscule cité, lorsque l'on vient de Rome, vous savez...

→ Ce que je pense des jeux.
Sans doute qu'il y prend le plaisir naturel d'un citoyen romain. Mais, là encore, s'il admet la nécessité de ce divertissement, constater la débâcle de quelques esclaves, quand on a déjà fait couler le sang de cent hommes sur un champ de bataille, cela paraît ou ridicule ou sordide. Voire les deux.

→ Mes souhaits, mes rêves, mes ambitions.
Tiberius est un homme sans rêve, un homme humble. Il ne désire rien qu'il ne possède déjà ou qu'il ne soit en droit de posséder. Il aspire à davantage de connaissance, mais jamais de pouvoir, et cela sans avidité. Les dieux l'ont conduit à telle ou telle destinée, mais il n'en a jamais fait le choix, toutes les charges qu'il a occupées, il devait en être digne, et rien de plus. Lorsqu'il était encore Préfet de Cavalerie, il le devait à son mérite, à sa vaillance et à la confiance de ses hommes. Quand il transmettait, écoutait et conseillait, il le devait à la protection de son mentor. Tiberius n'a jamais rien pris qui ne lui revienne de soi-même et, en cela, il n'a aucune ambition. Certains diront qu'il subit son existence, d'autres qu'il respecte les vœux des dieux. Peu importe, à vrai dire, car l'issue reste idem : sa destinée dépasse son humilité, puisqu'il sera un jour, contre ses vœux et ses allégeances présentes, nommé préfet du prétoire par Auguste lui-même.

→ Ma pire crainte.
Il endure le revers, et absorbe l'échec. C'est encore le déshonneur que Tiberius tient en haine et en horreur. Son âme n'est pas parfaite, mais elle est encore intacte – que les dieux lui en soient témoins. Il refuse le parjure, la lâcheté et la traîtrise, et rien ne peut davantage l'offenser que les infamies que l'on fait à son nom. Il n'a rompu aucun de ses vœux. Il n'a brisé aucune de ses allégeances. Il ne fait aucun compromis avec son honneur mais, malheureusement, se doit-il d'observer, il n'est pas le seul capable d'éclabousser son être...

→ Heureusement, les Dieux veillent sur moi.
Heureusement, les dieux veillent sur lui. Oui, les dieux se montrés bons envers lui, et il se montre bon en retour. Tiberius est un homme pieux. Il honore chaque dieu, chaque jour, et prie pour que leur protection ne cesse jamais. Il ne fait rien pour les offenser et, de toute évidence, eux ne font rien pour le défaire non plus. Qu'il soit bienheureux de la clémence qui couvre sa maison : c'est un privilège qui s'ajoute encore à celui de sa naissance. Il ne l'oublie jamais.

CHRONOLOGIE | - 66 (0 ans) : Naissance de Tiberius. - 49 (17 ans) : Il s'enrôle dans la légion, au service de César, dans la guerre (civile) qui l'oppose à Pompée. - 48 à - 45 (18 à 21 ans) : Il participe aux campagnes de Jules César contre les alliés résistants de Pompée. - 44 (22 ans) : Il participe à la bataille de Modène, sous les ordres de Marc Antoine. - 42 (24 ans) : Il est fait Chevalier de Rome, de droit héréditaire (dès lors, il renonce, en échange de la bande pourpre et de l'anneau d'or, à exercer toute magistrature). A cette occasion, il rencontre le sénateur Lucius Munatius Plancus, alors consul. - 40 (26 ans) : Il se marie, et répudie sa femme dans l'année. - 38 (28 ans) : Il devient Préfet de Cavalerie. - 37 (29 ans) : Lucius Munatius Plancus l'envoie auprès de Marc Antoine dans la guerre contre les Parthes. - 36 (30 ans) : Face à l'imminente défaite de Marc Antoine, Lucius Munatius Plancus le rappelle à lui, tandis qu'il se rallie à Octave. Tiberius participe à la répression de la révolte sicilienne. - 35 à - 32 (31 à 34 ans) : Il sert de d'informateur, de messager puis de conseiller à Lucius Munatius Plancus. - 32 à - 30 (34 à 36 ans) : Le sénateur lui refuse d'intervenir dans le conflit qui oppose Marc Antoine à Octave. De fait, Tiberius quitte ses fonctions militaires. - 28 (38 ans) : Lucius Munatius Plancus souhaite le faire nommer Préfet des Vigiles de la ville de Rome. Tiberius refuse afin de se rendre au chevet de son père. - 27 (39 ans) : Son père meurt. Il fait le choix de se rendre à Pompéi, suspendant ses charges, afin d'apprendre la nouvelle à sa sœur, Helvia Scaevola.

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Le soleil à son zénith, Tiberius remonte lentement la Via Sacra, les chevilles enveloppées de poussière. Il devrait monter son cheval mais le Forum Romanum est impraticable, de la sorte, en cette période de l'année. Alors il contourne et bouscule les marchands, les mendiants, tandis que deux hommes ferment sa marche. Ils sont sa sauvegarde, généreusement offerte par la méfiance du Sénateur Munatius Plancus. Tiberius est son protégé et il affirme qu'il a à craindre pour sa vie. Aussi Tiberius obéit-il à la prudence recommandée, la sage prudence que lui impose son mentor. Et certes, maintenant qu'il sent les effluves de toute la populace, là, contre le cuir de son armure, il éprouve comme la menace d'une lame qui s'approche. Il n'en est rien, c'est son ami, Maximus Brattius Strabo, qui se dégage sur sa gauche et emprunte sa démarche. Les deux sentinelles ne cillent pas, ils le connaissent très bien, lui et ses allures tout à la fois conquérantes et railleuses. « Pompéi, vraiment ? entonne-t-il. » Il rit. Non, il se moque. Maximus se moque toujours. Ils ont défendu les mêmes lignes, mais il conserve son ironie familière. « Qui te l'a dit ? lâche Tiberius en poursuivant sa route. » « Par tous les dieux, l'ignore son ami, que vas-tu faire là-bas ? C'est le bout du monde ! » Les deux hommes bifurquent, en direction du Capitole. A quelques pas, ils voient le Tabularium, qui s'élève d'entre tous les autres bâtiments. « Mon père est mort, déclare lentement Tiberius. Quelqu'un doit le dire à ma sœur. » « Helvia Claudia Scaevola ! chantonne pratiquement Maximus. La vipère de Pompéi ! » Tiberius lui empoigne la cuirasse en même temps qu'ils parviennent à bas des archives. « Prends garde, souffle-t-il, le ton dur. Je t'aime, Maximus, mais j'aime encore bien davantage le nom de mon père. Insulter ma sœur, c'est l'insulter, lui. » L'autre se dégage sans peine. « Très bien, très bien. Ne te fâche pas. » Il essuie son bel uniforme, et prend, soudain, un air sérieux. « N'y va pas, Tiberius. » Le ton ne trompe pas. C'est là le véritable motif de sa visite. Il ne montre plus aucun sarcasme, si bien que son ami le jauge nouvellement. « Ta place est à Rome, insiste Maximus. » « Et je la reprendrai, une fois mon devoir réalisé. » « Envoie-lui une missive ! Et, surtout, laisse-la là-bas. » Tiberius garde le silence. Si longtemps que son ami ne peut que comprendre : « Ne fais pas cela, murmure-t-il désormais. Vas-tu vraiment la ramener ici ? Laisse-la là-bas. Elle te fait le cadeau de son absence. Ce sera pire si elle vient. » Les sentinelles se rapprochent, sous l'influence d'un mouvement de la foule. « Je ne peux pas, siffle plus bas Tiberius. Son mari est mort. » « Assassiné. » « Que t'ai-je dit ? gronde aussitôt le chevalier. » De prudence, Maximus se dégage d'un pas. « Son mari est mort. Et notre père également. Je suis son autorité, désormais. Il faut qu'elle le sache. » « Elle ne t'obéira pas. » « Il faudra bien. Sa solitude, et son pouvoir ridicule, en Pompéi, m'insultent déjà. Dois-je encore en supporter ? »

Le Tabularium l'impressionne toujours. Là, dans un salon d'étude encombré de tablettes de cire, Tiberius tient le silence. Le Sénateur se tient à sa table, parcourant certaines lignes du bout des doigts, et d'autres du bout des yeux. Quelque part, il s'adresse à lui. Sans jamais prononcer un mot. Son élève vient de lui annoncer sa nouvelle, de formuler sa demande. Lucius Munatius Plancus n'a aucune raison de lui accorder cette faveur. Il n'a aucune raison de le laisser partir, dans un endroit où Tiberius ne lui sera d'aucune utilité. Il ne dit rien, mais il se prononce déjà. Et l'infant se résigne lentement. Il pense à protester, mais n'en fait rien. Il attend. Chaque seconde a la saveur d'une heure. Il s'apprête à déraisonner quand : « Comment est-elle ? » Il lève les yeux vers lui et découvre sa surprise. « Ta sœur, précise le sénateur. Comment est-elle, Tiberius ? » L'appelé a l'air d'y réfléchir. Il médite. Il hésite sur les mots. Ce lieu est un sanctuaire où les mots sont plus importants, et plus précieux, qu'ailleurs. Il réfléchit encore longtemps, sans que le vieil homme en face de lui ne cille jamais. « Personnelle, conclut-il. » « Toutes les femmes sont personnelles, rétorque aussitôt Munatius Plancus. » Tiberius paraît encore hésiter, comme si cette vérité, quoi que sobrement énoncée, pouvait être aisément contestée. « Elle l'est d'une façon offensante. » « Toutes les femmes sont offensantes, soupire le sénateur en noyant encore le regard dans sa lecture. » Puisqu'il n'a rien à y répondre, l'homme se tait. « Tu n'es pas marié, n'est-ce pas ? » « Non. » « L'as-tu été ? » « Une fois. » « T'a-t-elle donné des enfants ? » « Non. » « Hm, grommelle vaguement le Sénateur. Elle est donc tout ce que tu sais de la famille. » Tiberius l'admet d'un prompt hochement de tête. « Alors d'accord. » Munatius Plancus se lève de sa chaise. « Rends-toi à Pompéi. » « Vraiment ? se surprend à dire Tiberius. » « Vraiment, acquiesce l'autre. Mais promets-moi une chose. » Le silence s'installe, et vaut tout consentement. « Ne la contrarie pas. » L'infant va pour protester, quand le mentor poursuit : « Tu ne m'avais jamais parlé d'elle avant aujourd'hui. La lignée Helvii est fort réputée, aussi je la connais. Mais tu n'avais jamais parlé d'elle, cependant. Aussi, j'en déduis que vos relations sont mauvaises, ou conflictuelles. Et sais-tu ce qu'il y a de pire pour un homme qui n'a de famille que sa sœur ? » « J'en ai deux. » « Le sais-tu ? rétorque le Sénateur d'une voix plus forte, et plus tendue. » Tiberius hoche négativement de la tête. « Il n'a rien appris des des femmes qui lui doivent quelque chose mais ne le donnent jamais. » « Je ne comprends pas. » « Si tu la contraries, mon cher Tiberius, (il rit doucement) tu comprendras. »

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Avertissement. Le sénateur Lucius Munatius Plancus a véritablement existé. Il s'agit d'une libre-interprétation au service du personnage de Tiberius.