« Paix » ₪ fiche terminée

→ Ce que je pense de Pompéi
Elle n'a jamais rien connu d'autre. La cité a ses parts d'ombre, même si lumière y règne la plupart du temps. Eirene s'en sent pourtant prisonnière. Elle aimerait pouvoir explorer davantage les environs, sortir un peu plus de la villa et s'approvisionner en herbes elle-même, parfois, mais... elle n'en a pas le droit. Découvrir ce qui se tient au delà lui plairait tellement...

→ Ce que je pense de la politique
Femme, et esclave. On ne lui demande pas son avis sur la question. Pourtant, son ancien maître en parlait souvent en sa compagnie, et, observatrice, brillante, discrète, Eirene a fini par saisir quelques subtilités de cette discipline complexe, et cruelle. Peut-être que si son Dominus lui demandait conseil sur certains points, son avis serait pertinent. Sur d'autres, en revanche, son esprit s'avèrerait bien trop naïf et pur. Quoiqu'il en soit, elle n'a pas à s'intéresser à ce domaine et, bien que curieuse de tout, Eirene sait rester à sa place et oserait à peine répondre si on la questionnait à ce propos.

→ Ce que je pense des jeux
Ils font vivre sa Maison, et le Maître ne jure que par eux. L'avis d'Eirene à ce sujet importe peu, mais pour être tout à fait honnête, elle ne saurait dire si oui ou non, ces spectacles lui sont plaisants. Dans l'absolu, faire combattre des hommes comme de vulgaires animaux, souvent jusqu'à ce que mort s'ensuive, est très lâche et peu honorable à ses yeux. Les romains préfèrent se jouer de la vie des esclaves plutôt que de se mesurer les uns aux autres ; n'est-ce pas injuste ? Son cœur s'étreint chaque fois qu'un Gladiateur apprécié de sa Maison entre dans l'arène. Habituée à panser leurs plaies et apaiser leurs souffrances, Eirene voit son chagrin grandir dès que l'un deux tombe. Néanmoins, il existe aussi des hommes peu respectables au sein de la Fraternité, et ceux là, elle éprouve parfois un grand soulagement à les voir s'éteindre sous les coups d'épée. Que dire de plus, si ce n'est qu'Eirene n'a jamais rien connu d'autre et que ces folies romaines s'inscrivent, pour elle, dans l'abysse de la normalité ?

→ Mes souhaits, mes rêves, mes ambitions
Née esclave, Eirene n'a eu que sa mère, partie trop tôt, pour lui conter la vie de ses ancêtres en Bretagne. Vide, la jeune femme ne peut se sentir ni romaine, ni Demeta, comme l'était sa génitrice. Elle aspire sans y croire vraiment, à trouver sa place, des attaches solides et non des fers, ou des marques qui la lient à ses maîtres. La Liberté, elle n'en parle jamais par superstition, mais bien que persuadé qu'elle ne la gagnera jamais, son esprit, en particulier la nuit, ne peut s'empêcher d'y songer.

→ Ma pire crainte
Eirene a toujours su que son physique suscitait l'intérêt des romains, et des hommes en particulier. Elle pensait ne pas avoir à s'en inquiéter, tant ses anciens maîtres la traitaient avec respect... A la mort de ces derniers, son arrivée chez Naevius a contribué à changer beaucoup de choses. L'innocence perdue ; bien que bénéficiant d'une position plutôt élevée, affiliée au service du Patriarche et assistante de Medicus grâce à ses connaissances des plantes, la jolie blonde a dû satisfaire des besoins autrement plus intimes, pour le bon plaisir de son Dominus et de ses affaires. Ses yeux vairons, sujets à l'intrigue et conférant à sa pâleur une touche d'exotisme, font d'elle une esclave particulièrement précieuse aux yeux de son Maître. Eirene craint d'ailleurs ses ambitions, et se demande jusqu'où il lui ordonnera d'aller si une occasion en or se présente. D'ordinaire bien traitée, elle n'en reste pas moins un objet brillant à offrir en cadeau ou en récompense aux plus méritants -ou influents.

→ Heureusement, les Dieux veillent sur moi.
Sa mère lui parlait souvent des croyances de son peuple, mais Eirene n'en a que de maigres souvenirs. Elle a surtout appris les coutumes romaines et vénère les Dieux de ses Maîtres. Les prières et autres rituels sont nécessaires à sa pratique de la médecine, et c'est d'ailleurs elle qui dispense ces "traitements complémentaires" à la place de Medicus, dont elle est l'assistante. Tout le monde a besoin de croire en quelque chose. Eirene n'a que les Dieux, elle a appris à les respecter et veille à ne jamais les offenser, bien qu'il lui arrive de s'interroger sur leur prétendue clémence. Elle s'en remet en particulier à Venus, particulièrement aimée de ses anciens maîtres. Sa féminité apporte à l'esclave un certain réconfort, plus que d'autres tel qu'Apollon.

* concernant les yeux vairons de la demoiselle, je tiens à préciser que je n'ai rien trouvé à ce sujet pour convenir à l'époque ; même si certaines cultures ont parfois appelé cela "les yeux du diable", j'ai volontairement pris le parti d'en faire un trait plutôt apprécié des romains, du moins sujet à l'intrigue et non à la crainte ni au rejet =)

« Va chercher Medicus ».

Un ordre clair, concis, comme tous ceux que Naevius avait l'habitude de prononcer. A quelques mètres seulement de la villa, nous nous affairions déjà à préparer l'arrivée des gladiateurs blessés, les jeux enfin terminés. Partie devant, j'allais à la rencontre de mon mentor, déjà prêt à accueillir les plus malheureux. « Prépare-moi de quoi nettoyer les plaies ! » Je savais précisément quoi faire et m'exécutai aussitôt, toujours sans broncher et avec une concentration extrême. J'aimais la précision.

« Envoyez Seppius au marché pour les remèdes manquants. Toi ! Remonte me donner des nouvelles dès que tu auras terminé. » D'humeur exécrable après la défaite de ses champions, Dominus nous laissa seuls et regagna ses appartements. Le premier homme fut installé sur la table de soins, et, aussi douce que possible, je lavai sa peau afin d'éliminer la crasse et le sang séché. « Donne. Tu as toujours été plus douée pour préparer les masques. » Sans broncher, je confiai alors mon linge humide à Medicus, et pris sa place derrière le comptoir, en vue de préparer l'onguent cicatrisant. Cette confiance accordée n'était pas sans me gorger d'une certaine fierté, celle là même ressentie bien des années auparavant, lorsque, toujours enfant, je m'appliquais à suivre les conseils de ma mère.

Elle avait été mon plus grand soutien, et demeurait encore aujourd'hui mon plus beau souvenir.

Enlevée au peuple Demeta par les romains lors de leurs expéditions régulières en Bretagne, elle avait été vendue à Rome comme esclave et passée, de Maître en Maître jusqu'à son arrivée à Pompéi. Absolument étrangère aux coutumes citadines, elle n'avait dû sa survie qu'à ses talents de guérisseuse, très vite mis au service de ses propriétaires et de leur entourage. Nul n'aurait su dire qui fut l'homme qui fit germer la vie dans son ventre, tant elle connut d'étreintes alors, violentée et offerte aux romains comme aux autres esclaves. L'acquisition de sa personne par l'influent Quintus Cossutius Varinius de Pompéi, mit un terme définitif à ses souffrances. Il me semble qu'elle n'accepta jamais vraiment sa condition d'esclave, trop attachée à sa lointaine liberté ; mais elle ne manqua jamais de me rappeler qu'entre tous ceux qu'elle avait connus, notre Dominus était le meilleur des hommes. Respectueux et honorable, ce vieillard qui l'acheta afin de soulager des douleurs terribles, lui permit ainsi d'accoucher sous son toit, d'exercer ses talents et surtout, de connaître une fin de vie reposante. Je n'aurais su dire à quel point mon premier Dominus me manquait, tant la servitude à sa volonté me paraissait aujourd'hui douce et dépourvue de tracas. Je n'avais réellement pris conscience de ma condition qu'en quittant sa villa, puis en arrivant chez les Naevii. Toutes les horreurs commises par les romains, subies par les esclaves, ne m'apparurent qu'en délaissant les Cieux de Jupiter pour le Royaume de Pluton. Et j'avais pourtant beaucoup moins à me plaindre que la plupart de mes frères...  

« Il nous faut plus de mandragore », remarquai-je en achevant de broyer les feuilles. Medicus explorait à la sonde, les blessures nettoyées au vinaigre. J'approchai afin d'observer, toujours prompte à améliorer mes connaissances. Excellente herboriste, dotée à la fois du savoir de mon peuple et de celui des romains, je n'étais que novice en chirurgie, discens comme on disait alors. Le Gladiateur, anesthésié au pavot, se mit à sursauter et les sangles, cernant ses poignets, menacèrent de céder. Aussitôt, je les resserrais, afin que Medicus puisse recoudre les plaies. « Ca a l'air de le retenir. Va t'enquérir de la santé des autres, je termine avec celui-là. » Sans protester, j'obéis, déçue de ne pas le revoir exécuter le processus permettant de ligaturer les veines, et regagnai l'espace attenant. Medicus tenait entre ses mains le cas le plus urgent ; tous les autres, j'étais en mesure de les soigner moi-même.

Prostré dans un coin, un Gladiateur ténébreux, tenait sa jambe estropiée, me guettant de l’œil valide qu'il lui restait. Je connaissais quasiment tous les hommes de la Fraternité, pour leur avoir donné les soins un jour. Beaucoup m'impressionnaient, mais je ne me démontais pas. Je serrais les dents en entendant leurs plaisanteries salaces et me crispais sous leurs caresses inconvenantes. Je n'avais pas le choix. Lui ne m'avait jamais touchée, mais nous n'étions pas non plus les meilleurs amis du monde. J'avais cru, au début, pouvoir percer la carapace de la Bête, atteindre l'Homme brisé, en apercevoir le meilleur, mais il ne m'en avait finalement jamais laissé l'occasion, me repoussant avec froideur. Comme j'examinai son œil fermé, il fut pourtant le premier à m'adresser la parole ;

« Encore en train de bichonner les hommes qui fantasment sur tes cuisses ? » Amère, j'évitai son regard, et répliquai calmement ; « Je n'aurais plus à le faire si vous aviez la décence de tomber dans l'arène, m'épargnant ce fardeau. »
Ses lèvres s'écartèrent en un léger sourire, à peine perceptible. Sourire qui se mut en grimace sous le coup de la douleur. Nous nous connaissions bien mieux que nous n'aurions aimé le dire ; et si, la plupart du temps, nous tâchions de nous éviter, nous savions aussi communiquer avec cynisme. Malgré des manières quelque peu rustres, je ne craignais pas de le visiter dans sa cellule à la demande de Dominus. Il n'en était pas ainsi de tous les autres, en particulier depuis que le Maître jugeait fréquemment nécessaire de m'abandonner à des mains avides, violentes et impatientes, perverses et dénuées de tendresse. Au fond, je n'étais plus la même depuis longtemps, mais chaque année passant ternissait un peu plus ma passion et mes espoirs. Mon déclin avait commencé cette fameuse nuit, quelques mois suivant la mort de ma génitrice. Dominus l'avait accompagnée dans l'au-delà et, n'ayant pas le moindre héritier, nous autres, esclaves de la Maison Varinius, avions été revendus. Pour la première fois de mon existence, j'avais alors connu la violence ; des plus douces, à côté de ce qu'elle pouvait être. Mais me voir traînée en compagnie de mes frères sur la place du marché suffit à l'époque à anéantir ma fierté ; j'avais ensuite retrouvé un semblant d'espoir dans le regard empli de convoitise de Sextus Naevius, mais quelques années passées au sein du Ludus m'avaient vite fait déchanter. J'évitais toutefois de me plaindre en public ; aux yeux de tous, je bénéficiais d'une position particulièrement enviée. On n'oubliait d'ailleurs jamais de me le faire remarquer ;

« Tu es le trésor de Naevius. Qu'as-tu à craindre ? » Je fronçai les sourcils, hésitant à répondre. C'avait peut-être été le cas, les premiers mois, l'homme ayant vu en moi une guérisseuse avertie, indispensable à ses gladiatrices, ainsi qu'une élève assidue pour son Medicus. Mes yeux, également, l'avaient conforté dans son choix, sans aucun doute, tant il se plaisait à revendiquer l'originalité au sein de sa Maison. J'étais une attraction de plus, jalousement gardée en vue d'accomplir quelques hauts desseins. Mais rien de plus. Il y avait bien longtemps que je me faisais plus d'illusion, bien que demeurant toujours d'une docilité exemplaire.
N'ayant jamais rien connu d'autre que la servitude, douce et soumise de nature que j'étais, comment aurait-il pu en être autrement ?

Soupirant, je me redressai, et, après avoir examiné la jambe ensanglantée du combattant, je m'apprêtai à y appliquer un nouvel onguent. « Rien. Je ne crains absolument rien ». J'étais seule, désabusée, mais éduquée à sauver les apparences.

Résignée.

Condamnée.