Kerta ~ I am not just a slave. I am so much more than that.

(c) Berenice

Kerta incarnée par Lena Headey Ave, étranger! On me nomme Kerta bien que mon père Berwyn m’ait baptisée tout autrement à ma naissance : Creirwy. Un nom qui a sombré dans les ténèbres, tout comme moi. Née au nord de Castellum Menapiorum au sein du peuple des Ménapes, il y a 35 ans, je suis d'origine gauloise. La déesse Fortune a fait de moi une esclave (plus exactement une prostituée et une matrone) et j'ai pour maître ce cher Kaeso Ausonius Faustus. Si j’ai une famille ? Ma foi, peut-être que mes deux frères et ma mère sont toujours en vie mais je l’ignore et puis, sont-ils encore ma famille puisque celle que j’étais quand ils faisaient partie de ma vie est morte ? Non. Plus de 2000 ans plus tard, c'est Berenice qui m'incarne. Qui es-tu? Je suis faible… Tellement faible…  Si je venais malheureusement à quitter le forum, j'accepte que mon personnage soit adapté en scenario et ce pour permettre à mes liens importants de ne pas être gênés. Mais ça n'arrivera pas.

(c) Berenice

→ Ce que je pense de Pompéi
Pompéi est ma ville d’adoption, ma cité, mon antre : je n’en partirais pour rien au monde. Pourtant, c’est cette ville qui a vu ma véritable naissance en tant qu’esclave, c’est cette ville qui est devenue ma toute première prison. Malgré tout, j’ai appris à l’aimer, j’ai appris à l’apprivoiser et je compte bien continuer. Dans l’ombre j’avance, dans l’ombre je me faufile et dans l’ombre je tisse ma toile à ma façon. Je suis là où je dois être.
 
→ Ce que je pense de la politique
La politique ? A ce jour, ça n’a absolument aucun intérêt pour moi puisque cela ne m’est d’aucune utilité. Les politiciens sont tous des serpents plus fourbes les uns que les autres. La seule chose qui m’intéresse chez l’élite est l’argent qu’ils peuvent rapporter à mon maître si nos services les intéressent. Pour le reste, qu’ils continuent à se dévorer entre eux : cela ne me fait ni chaud ni froid.
 
→ Ce que je pense des jeux
Je n’ai pu assister aux jeux que récemment et ce, grâce à mon nouveau maître et j’ai véritablement apprécié ces petits divertissements. Il est tellement plaisant de voir des hommes se battre avec hargne et violence. N’allez pas croire que j’apprécie la vue du sang mais… Attendez… Si, en fait, j’adore la vue de sang. Si j’avais été un esclave et non pas une esclave, j’aurais aimé être un gladiateur. J’aurais aimé sentir la chair se déchirer sous mon glaive et les os se briser sous ma lance.
 
→ Mes souhaits, mes rêves, mes ambitions
Mon ambition est mon moteur, ma raison de vivre. Quelle est-elle ? C’est très simple : continuer à m’imposer au sein du lupanar de mon maître. La simple prostituée que j’étais a bien évolué et j’ai bien l’intention de continuer à poursuivre cette ascension et pour ça, je suis prête à écraser tous ceux qui se dresseront sur mon chemin. J’aurai atteint mon objectif quand je n’aurai plus à offrir mon corps et que je me contenterai de gérer celles qui devront le faire. J’aurai atteint mon objectif quand Kaeso me donnera encore plus de responsabilités. J’aurai atteint mon objectif quand on me mangera dans la main.
 
→ Ma pire crainte
Je ne crains rien. Je ne crains pas de perdre ce que j’ai car si j’ai réussi à l’avoir une fois, je pourrai recommencer ailleurs. Je ne crains pas les coups car ils finissent toujours par être rendus. Je ne crains pas la mort car elle est mon alliée et que je l’accueillerai les bras ouverts quand elle décidera de me faire sienne.
 
→ Heureusement, les Dieux veillent sur moi.
Les Dieux ? S’ils existent, ils ne sont que de vils êtres qui s’amusent du malheur de leurs créations. Mon père était un homme particulièrement pieu et pur et ça ne l’a pas sauvé, bien au contraire. Alors, les Dieux je ne les prie pas, je ne les vénère pas. Et n’allez pas croire que porter le nom de la Déesse du chaos me rapproche d’eux : c’est une brillante idée de ma mère. Finalement, elle a eu raison de me surnommer ainsi quand elle a décidé de me vendre : ne suis-je pas, d’une certaine manière, liée au chaos ? Je devrais la remercier pour ça mais plutôt subir mille tortures que d'en arriver là.

Le tissu glissa sur ma peau déjà devenue glacée. Bientôt, mes épaules et le reste de mon corps furent recouverts. Mes doigts nouèrent la ceinture auprès de ma hanche avant d'aller se nicher dans mes cheveux que j'entrepris de replacer correctement. La voix de l'homme s'éleva alors doucement de derrière moi, une pointe de déception perçant dans son ton en remarquant que j'étais sur le point de m'en aller.

« Allons, tu pourrais rester un peu plus. »

Aussitôt, je me retournai vers lui, mon visage figé comme à l'accoutumée dans une expression neutre.

« D'autres clients attendent. »

L'homme grimaça. Je savais bien qu'il détestait m'entendre employer ce mot là : depuis le temps maintenant qu'il faisait appel à mes services, je savais ce qu'il aimait, ce qu'il n'aimait pas et ce qu'il n'aimait pas, c'était être considéré comme un simple client. Je ne pouvais malheureusement pas y faire grand chose puisque c'était ce qu'il était et si j'étais payée pour donner du plaisir, je n'étais pas payée pour prétendre être ce que je n'étais pas. Je n'étais pas payée pour lui faire croire qu'il était autre chose qu'un parmi tant d'autres.

« Ils peuvent attendre un peu plus, j'ai de quoi payer. »

Je haussai les épaules et sans attendre, j'entrepris de défaire le nœud que je venais juste de terminer. C'est là que l'homme se redressa et s'approcha rapidement de moi avant de poser ses mains sur les miennes, arrêtant mon geste. Je relevai un regard surpris vers lui avant de hausser un sourcil : à quoi jouait-il ?

« Je ne veux pas que tu restes pour ça. »

Pour seule réponse, je soupirai.

« Tu es froide... » murmura-t-il dans un souffle.

« C'est vrai. Pourtant, tu continues de revenir et de ne faire appel qu'à moi. »

Il ne s'agissait pas là de vantardise mais d'un simple fait : depuis la première fois où je m'étais occupée de lui, il n'avait eu de cesse de revenir pour n'être qu'avec moi. Il refusait toutes les autres filles. Puisqu'il payait, cela ne me dérangeait pas outre mesure mais je craignais qu'il ne se fasse des illusions. J'étais une prostituée, rien d'autre.

« Tu es mystérieuse et ça me rend curieux. »

Je fronçai les sourcils avant de croiser les bras et de faire un pas en arrière car tout ceci prenait une tournure qui ne me plaisait pas.

« J'aimerais en savoir plus sur toi. »
« Alors, » répondis-je d'une voix non plus neutre mais glaciale. « Tu souhaites payer pour passer plus de temps avec moi pour... Quoi ? Que je te parle de moi ? »
« Oui. » dit-il, une lueur étrange dans le regard.
« Je ne suis pas payée pour parler de moi. »
« Si moi je te paye pour ça... »
« Non. Il n'y a rien à dire. Soit je fais ce pour quoi je suis payée, soit je quitte cette chambre et m'en vais voir ceux qui attendent. »

Je ne pouvais pas être plus claire et c'était donc à lui de choisir. Jamais je ne lui parlerais de moi mais je pouvais lui apporter tout autre chose, cette chose qu'il venait chercher et qu'il ne trouvait finalement nulle part ailleurs. Était-il trop curieux pour pouvoir penser à autre chose qu'à parler ? Apparemment non vu la façon dont il écrasa ses lèvres sur les miennes avant de laisser ses mains vagabonder sur mon corps.

~~~~~

« Kerta ? Voici la nouvelle. »

D'un geste de la main je fis signe à la fille de rentrer avant de renvoyer l'autre à ce qu'elle devait faire. J'observai la nouvelle venue d'un œil attentif avant de m'approcher d'elle et de glisser ma main sur sa joue. Elle détourna le regard.

« Ne fais pas ça. Tu dois me regarder dans les yeux. »

Cela lui fut difficile mais elle finit par relever son regard vers moi et ce que j'y vis ne me plut pas du tout.

« Il va falloir devenir plus forte et prendre confiance en toi : les hommes qui viennent ici ne viennent pas pour passer du temps avec des filles qui ont peur et qui ne sont pas sûres d'elles. »

Elle hocha la tête et je me mis à l'observer avec encore plus d'attention, mes yeux se posant sur chaque courbe de son corps. Un sourire étira mes lèvres.

« Tu es très belle, c'est un avantage. »

Je me détournai d'elle avant de retourner m'asseoir sur ma couche.

« Mais il te faudra être prudente : trop de beauté peut entraîner de la jalousie. Il va te falloir être méfiante, tu as compris ? »

Elle hocha de nouveau la tête.

« Bien. Depuis le tremblement de terre, il est plus difficile de récolter ce que nous récoltons habituellement, les clients ayant beaucoup à dépenser pour réparer et récupérer ce qu'ils ont perdu. Tu devras te montrer inventive et assez entreprenante pour leur donner une irrésistible envie de revenir, c'est clair ? »

Nouveau hochement de la tête : elle n'était décidément pas contrariante.

« Parfait. Tu peux aller retrouver les autres filles. »

Elle ne bougea cependant pas.

« Quoi ? »
« Pardon... »
« Quoi ? » répétai-je, commençant à perdre patience.
« Vous êtes là depuis longtemps, non ? »

En voilà une autre qui voulait que je parle de moi : c'était contagieux apparemment. Je soupirai avant de m'adosser contre le mur.

« Un certain temps oui, pourquoi ? »
« C'est parce que je me demande si... Avec le temps, ça devient plus facile ? »

Oh... Alors c'était pour ça qu'elle se montrait curieuse ? Elle voulait savoir si vendre son corps à des inconnus devenait plus facile avec le temps ? La réponse était simple et sans détour.

« Non. En tout cas, je ne trouve pas ça plus facile qu'au début. Disons juste qu'avec le temps, on apprend à vivre avec mais ça ne rend pas ce que l'on fait plus facile. »

Son visage me parût tout à coup plus pâle. Peut-être aurait-elle souhaité que je lui raconte des mensonges pour la rassurer mais ce n'était pas mon rôle.

« Si tu trouves ça trop difficile, dis-toi qu'il y a pire. »
« Merci... » murmura-t-elle la voix éteinte avant de tourner les talons et de s'avancer vers la sortie.

« Une dernière chose. »

Elle se retourna et posa un regard anxieux sur moi.

« Si tu as le moindre problème avec un client, tu dois venir me le dire. Certaines choses peuvent passer mais d'autres non. »

Elle m'adressa un nouveau hochement de la tête avant de s'éclipser.

Quelques heures plus tard, après une nuit plutôt agitée, j'étais allongée sur ma couche, mon regard s'étant posé sur le plafond pour ne plus en bouger. Était-ce à cause de ce que le client m'avait demandé la veille et à cause de ce que cette fille m'avait demandé ? En tout cas, des images me revenaient. Des images qui n'étaient pas venues me hanter depuis longtemps. Tout se mélangeait et était flou jusqu'à ce que je finisse par sentir mes paupières devenir plus lourdes. Tout à coup, il n'y eut plus rien que le néant. En tout cas, pour un instant. Ce sommeil n'allait pas être sommeil paisible et sans aucun rêve : ce sommeil allait me replonger dans le passé.

~~~~~

La lumière vacillante des bougies traversait le rideau et j'avançai à pas lents, le plus silencieusement possible. Je n'arrivais pas à m'endormir et quand c'était le cas, je n'allais pas voir ma mère : c'était mon père auprès duquel j'allais chercher le réconfort et le calme dont j'avais besoin pour trouver le sommeil. Oui, à peine âgée de six ans, je savais vers qui me tourner. Debout derrière le rideau, je n'osais pas entrer car je savais que mon père était occupé à prier, comme il le faisait tous les soirs. Je n'eus cependant pas besoin de faire savoir que j'étais là : il avait dû m'entendre arriver puisqu'il m'invita à entrer à voix basse. Je passai le rideau et m'avançai jusqu'à lui. Très vite, je terminai sur ses genoux, dans ses bras, et mon regard se porta sur les bougies qui étaient en grand nombre sur un bloc de pierre et qui éclairaient la pièce.

« Pourquoi tu fais ça tout le temps ? »

La main large et tendre de mon père glissa dans mes longs cheveux blonds et il m'adressa un sourire dont la tendresse me réchauffa.

« Je prie les Dieux pour qu'ils veillent sur nous comme ils l'ont toujours fait jusqu'à présent. »

Je fronçai les sourcils. J'étais petite mais j'avais compris ce que les Dieux représentaient pour mon père. Je n'étais cependant pas certaine de ce qu'ils devaient représenter pour moi.

« Je  peux le faire aussi ? »
« Bien sûr. Si tu souhaites t'adresser à eux, tu peux le faire et ils t'écouteront. »
« On peut leur demander ce qu'on veut ? »
« On ne peut pas vraiment leur demander mais disons plutôt qu'on leur confie nos souhaits, nos craintes aussi et en les entendant, ils savent quoi faire pour nous venir en aide. »
« Si je leur demande que maman soit plus gentille avec moi, ils m'écouteront tu crois ? »

Le sourire de mon père se fana et son visage fut soudain empreint d'une terrible tristesse. Il ne répondit rien et je sus ce que cela voulait dire : j'aurais beau prier nos Dieux, les Dieux de ces Romains qui avaient conquis nos terres, j'aurais beau les prier tous et toutes, ma mère ne serait jamais gentille. J'étais trop petite pour comprendre d'où sa haine venait et cela me faisait mal, terriblement mal. Elle aimait mon grand frère et mon petit frère né à peine un an auparavant alors pourquoi pas moi ?

Pourquoi ?

~~~~~

Le soleil était encore une fois caché derrière des nuages épais et l'air était très humide. Je venais d'aller récolter les quelques céréales qui avaient réussi à échapper aux dernières intempéries : le temps n'était vraiment pas de notre côté depuis quelques temps. Heureusement que la récolte passée avait été excellente et nous avait mis à l'abri pour au moins quelques temps surtout que depuis quelques semaines, il n'y avait que mon frère aîné et moi qui nous occupions des récoltes et de la ferme, ma mère étant trop occupée à s'occuper de mon petit frère et mon père souffrant d'un mal qui semblait ne pas se calmer malgré les traitement que nous avait proposé le druide du village le plus proche. L'entendre tousser la nuit m'empêchait souvent de dormir tant j'avais mal pour lui car je savais qu'il souffrait énormément. Il nous fallait attendre : attendre que les potions daignent faire effet, attendre que le temps soit plus clément et plus sec, attendre. Alors j'attendais et je priais aussi. Oui, je priais chaque soir pour que mon père guérisse de ce mal terrible. Je priais les Dieux depuis tant d'années maintenant : j'espérais qu'ils allaient m'entendre.

« Creirwy ? »

Je posai mon panier au sol avant de me tourner vers mon grand frère qui m'observait de toute sa hauteur : il avait seize ans, j'en avais douze, et il faisait deux têtes de plus moi. C'était un véritable géant.

« Je pars m'occuper des chevaux et j'en ai pour un moment. Tu restes ici tant que mère et Rhian ne sont pas revenus, d'accord ? »

Je hochai la tête : bien sûr que j'allais rester là. Notre père ne pouvait pas rester tout seul ou en tout cas, nous avions pour consigne de ne pas le laisser seul au cas où son état empirerait. Quand mon frère fut parti, j'allais jusqu'à la chambre de mes parents et m'arrêtai après avoir passé le rideau : mon père était d'une telle pâleur que j'en eus la chair de poule. Je pris une profonde inspiration et m'avançai jusqu'à sa couche, attrapant au passage le petit récipient dans lequel trempait un petit linge. Je m'installai sur le lit et commençai à appliquer le linge sur son front encore trop chaud quand il ouvrit les yeux. Aussitôt, un sourire étira ses lèvres blanchies et craquelées, un sourire que je lui rendis avec douceur.

« C'est toi. »
« Oui. Mère et Rhian sont partis au marché et Bryn est parti s'occuper des chevaux. »
« Bien. Bien... »

Je détestais l'entendre parler de cette voix si faible et si éteinte qui ne lui ressemblait pas du tout.

« Veux-tu poser tout ça ? »

Je m'exécutai et posai le récipient et le linge avant que mon père ne vienne prendre mes mains dans les siennes. Un tendre sourire était toujours accroché à mes lèvres, comme aux siennes mais si son sourire à lui allait rester ainsi, le mien, lui, allait très vite disparaître.

« Je vais mourir. »

Je secouai la tête, mon sourire s'étant donc évaporé en une seconde.

« Non, tu dis des bêtises. Tu vas guérir, c'est une question de temps. »
« Non... Je ne l'ai plus ce temps dont j'avais besoin... »

Son regard se détourna de moi et c'est là que je le vis, l'autre linge dans lequel il toussait tout le temps, ce linge qui aujourd'hui était trempé de sang. Mes doigts se resserrèrent autour de ceux de mon père avant que je ne replonge mon regard dans le sien.

« C'est pas possible. Les Dieux ont pas le droit de faire ça... »
« Creirwy... »
« Non... Ils peuvent pas t'emmener... Tu es tout ce que j'ai... » 
« C'est faux... »
« Tu sais que c'est vrai ! Bryn il m'aime bien lui, c'est vrai, mais mère et Rhian... »

Ma voix s'éteignit sur ces mots : j'avais un père qui m'aimait plus que tout, un grand frère qui me portait sincèrement dans son cœur mais ma mère me détestait et mon petit frère, lui, avait suivi le même chemin que ma mère.

« Je sais que c'est difficile pour toi... »
« Elle me déteste juste parce que tu m'aimes ! »

Ah, cette conversation où mon père avait fini par mettre des mots sur la haine de ma mère à mon égard était encore gravée dans ma mémoire. Ma mère m'avait maudite quand j'étais née car j'avais été une fille et non un garçon. Elle m'avait encore plus détestée quand mon père avait décidé de me prénommer Creirwy, sa façon à lui de faire savoir que j'étais un véritable joyaux pour lui.

« Je sais... Et je suis tellement désolé qu'elle n'ait pas su agir autrement envers toi... »
« C'est pas ta faute... »

A présent, des larmes traçaient des lignes sur mes joues noircies par la poussière. Mon père fut soudain prit d'une quinte de toux et je ne pus qu'assister à sa douleur sans rien pouvoir faire pour l'aider. Quand il eut craché un certaine quantité de sang et quand il fut calmé, sa voix était encore plus faible.

« Tu es ma lumière, mon bien le plus précieux... Tu seras forte pour moi, je le sais... »

Incapable de dire quoi que ce soit, je me contentai de hocher la tête avant de me pencher et de me blottir dans ses bras qui m'entourèrent fébrilement.

« Je veillerai sur toi... Je serai... dans ton cœur... »
« Je ne veux pas que tu sois dans mon cœur... » répondis-je la voix brisée par le chagrin. « Je veux que tu restes avec moi... »

Je n'eus aucune réponse. Ma tête posée contre son torse se souleva au rythme de sa respiration à plusieurs reprises puis plus rien.

~~~~~

Je les entendais parler et mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. J'avais mal, j'avais peur, j'avais envie de crier mais je ne pouvais pas. Et puis, qu'est-ce que ça aurait changé finalement ? Rien du tout. Je relevai mon regard vers ce type à l'allure douteuse qui me toisa longuement. Il se retourna finalement vers ma mère avant de lui demander confirmation de mon âge. C'est là que ma mère expliqua que je n'avais que douze ans même si je pouvais en paraître un peu plus puisque pour mon âge, j'avais déjà des formes assez généreuses. Mon corps s'était éveillé très tôt, c'était comme ça. Peut-être que ma mère me détestait pour ça aussi en plus du reste, allez savoir. Il hocha finalement la tête avant de tendre une bourse bien remplie à ma mère qui finit par me regarder : elle dégageait tant de haine et de mépris que j'aurais pu vaciller en arrière si je n'avais pas été habituée.

« Qu'est-ce que tu vas leur dire ? A Bryn et Rhian ? Tu vas leur dire que tu m'as vendue ? »
« Non. Je vais leur dire que nous avons eu un accident sur la route et que tu es morte. De toute façon, tu l'es pour moi alors, ce ne sera pas difficile de les convaincre. »

J'avais beau essayer de toutes mes forces, je fus incapable de retenir mes larmes. Je ne détournai cependant pas le regard et fixai ma mère droit dans les yeux quand elle se rapprocha de moi pour me faire face.

« Pouvoir me débarrasser de toi est la seule consolation que j'ai pour avoir perdu l'homme que j'aimais. »

Un sombre sourire étira mes lèvres à travers mes larmes.

« Te débarrasser de moi changera rien parce que tu sais qu'il m'aimait plus que toi. Il m'aurait toujours aimé plus que toi. »

Je vis sa main se lever et attendis le coup sans fermer les yeux. Le coup ne vint cependant pas puisque l'homme l'arrêta : il venait de m'acheter et apparemment, il n'avait pas envie qu'on frappe sa marchandise. Il m'intima de m'éloigner et j'obéis sans même chercher à protester. En m'éloignant, j'entendis ma mère lui demander s'il allait changer mon nom comme c'était souvent le cas pour les esclaves. Quand il lui répondit que ce n'était pas une obligation, elle lui souffla qu'elle était prête à baisser le prix s'il acceptait de me nommer comme elle le souhaitait. Puisqu'il lui était possible de me payer moins cher, il n'hésita pas. Je n'entendis pas la suite et fin de cette conversation puisque je pris place derrière une caisse en bois. J'aurais pu tenter de m'échapper mais on m'aurait tellement vite rattrapée que je préférai ne pas tenter ma chance. J'avais les genoux repliés contre moi quand l'homme me rejoignit.

« Dis-donc, je m'attendais à te trouver en train de pleurer. »

Je relevai mon regard vers lui.

« Pourquoi je pleurerais à cause d'elle ? Elle n'a jamais pleuré pour moi. »
« Je ne me plains pas, c'est une bonne attitude. La vie qui t'attend va être rude alors c'est bien que tu sois forte. »
« Forte... » répétait-je dans un souffle.

Je ne croyais pas être forte. Non, en fait, j'étais juste... Morte.

« Tu oublies qui tu étais, ton ancien nom, tout ça c'est terminé. Maintenant, tu t'appelles Kerta, c'est bien compris ? »

Je fronçai les sourcils et penchai doucement la tête sur le côté.

« C'est ça qu'elle a demandé ? La Déesse du chaos ? »
« C'est ce que tu représentes pour elle. »

Il s'éloigna de quelques mètres et commença à remballer ses affaires. Ainsi donc, ma mère avait décidé de ce nouveau nom. S'il devait en être ainsi... Creirwy était morte et Kerta avait pris sa place.

~~~~~

Cela faisait déjà plusieurs jours que nous étions à l'arrière de la charrette. Le marchand nous avait prévenus que le chemin allait être long puisqu'il avait l'intention de nous conduire jusqu'à Rome et Pompéi. C'était loin, très loin, mais c'était pour lui le meilleur endroit pour vendre des esclaves venus de la Gaule comme nous. J'étais la plus jeune, il y avait quatre femmes et deux hommes. Aucun d'entre nous ne parlait puisque nous avions pour ordre de rester silencieux et mieux valait obéir, ça, nous l'avions tous compris. Il y en avait un cependant qui me dérangeait. En fait, c'était surtout sa façon de me regarder qui me dérangeait. A chaque fois qu'il posait les yeux sur moi, j'avais l'impression qu'il me déshabillait du regard et je détestais ça. Bon, je risquais de subir ce genre de choses assez souvent quand on m'aurait achetée mais là c'était... C'était à la limite du supportable. D'ailleurs, cela devint insupportable quand il eut le regard de trop et surtout le geste de trop. Quand il posa sa main sur ma cuisse, je posai un regard glacial et mauvais sur lui : c'était ma façon à moi de lui dire de retirer sa main. Il était cependant décidé puisque sa main glissa sur ma cuisse pour se faufiler sous ce qui me servait de vêtement. Tout alla ensuite très vite puisque je fus emportée par mon instinct de défense et surtout mon envie de lui faire du mal : mes deux poings s’abattirent au même moment droit sur son nez et je profitai qu'il soit surpris et sonné pour lui sauter dessus. Nous nous retrouvâmes au sol, mes mains griffant ses joues avec férocité si bien qu'il fut bientôt en sang. Personne d'autre ne bougea. Après tout, c'était notre problème à lui, et à moi. Il hurla de douleur quand mes ongles arrachèrent sa peau et mes mains se refermèrent autour de son cou. Il en profita pour poser ses mains sur ses joues en sang.

« Si tu me retouches, ce n'est pas la peau que je vais t'arracher mais les yeux... »

Finalement, le marchand s'arrêta en entendant le bruit et l'homme récolta plusieurs coups pour avoir eu ce geste envers moi. Puis ce fut à mon tour de m'expliquer.

« C'était quoi ça ?! »
« Il a laissé traîner ses mains ! »
« C'était une raison pour essayer de lui arracher les yeux ? »

Un petit rictus se forma sur mes lèvres.

« J'ai pas essayé de lui arracher les yeux. Si j'avais essayé, j'aurais réussi. »

Et là, le coup partit. Ce fut tellement violent que j'en fus projetée à terre. Je sentis le goût amer du sang dans ma bouche.

« Je ne veux plus t'entendre ! Tu vas me rapporter de l'argent et c'est pour ça que je te garde mais tu me fais encore un coup comme ça et je t'envoie rejoindre ton si précieux père, c'est bien compris ?! »

Ce coup-là me fit plus mal que le coup porté à mon visage.

« Et tu as intérêt à apprendre à contrôler ton tempérament ! »

Les quelques jours suivants furent assez intéressants puisque les plaies de l'homme s'infectèrent. Ce ne fut pas très beau à voir, ni très agréable à sentir tant l'odeur devint vite absolument terrible. Le marchand n'avait ni l'envie ni les moyens de soigner un simple esclave. Et puis, nous étions encore nombreux alors, il avait de toutes les façons de quoi gagner pas mal d'argent. Après la mort de l'homme, on me regarda différemment et cela ne me déplut pas au contraire : c'était agréable de se sentir puissante, agréable de voir qu'on pouvait inspirer de la crainte.

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Les coups à la porte me sortirent de ce sommeil bien trop profond, bien trop lourd, bien trop pesant. Quand j'ouvris les yeux, il me fallut un moment pour me rendre compte que j'étais dans ce qui me servait de chambre, que je n'étais plus à l'arrière de la charrette et que de nombreuses années étaient passées. Je frottai mon visage avec vivacité, cherchant d'une façon ou d'une autre à effacer les images mais tout ceci était trop vif pour pouvoir être effacé. Les coups insistèrent et je finis par me redresser et inviter celui ou celle qui frappait à entrer. Je tentai d'afficher ce même visage neutre qu'à l'habitude mais n'y parvins sans doute pas complètement vu l'expression qu'afficha la fille qui entra. Ma foi, tant que j'arrivais à récupérer complètement avant d'aller retrouver tout le monde... Elle s'excusa et m'expliqua qu'elle et les autres filles  avaient été surprises de ne pas me voir, moi qui d'ordinaire était la première à me lever, la première à mettre les choses en ordre, la première à les gérer, parfois même avant Kaeso s'il était trop occupé. Effectivement, j'avais bien plus dormi que d'habitude. Je soupirai avant de la renvoyer auprès des autres en lui disant que je n'allais plus tarder. Quand la porte fut refermée, je repris place sur ma couche : j'avais encore besoin de quelques minutes pour me remettre de ce plongeon brutal dans ce qu'avait été mon existence avant que je ne sois achetée par le propriétaire du lupanar. Enfin, le propriétaire de l'époque puisque aujourd'hui, c'était Kaeso qui était le maître des lieux, pour mon plus grand plaisir.

Quand je fus finalement prête, j'allai rejoindre les filles avant de leur donner les consignes pour la nuit. De mon côté, j'irais jeter un coup d’œil mais ne prendrais des clients que si j'étais demandée. Cela faisait partie de l'accord passé avec Kaeso : gérer les autres filles, gérer une partie des affaires et moins offrir mon corps. En contrepartie, lui avait gagné l'auberge. Cet accord remontait à un peu plus de quinze ans et pourtant, il avait tenu parole. Quand j'avais prétendu avoir été témoin du viol commis par son frère, j'avais gagné une vie future meilleure, j'avais gagné un avenir différent de celui qu'il aurait dû être si je n'étais restée qu'une simple prostituée. Je l'avais attendu... Je l'avais attendu longtemps mais finalement, il avait réussi à hériter du lupanar et moi, j'avais commencé à moins m'occuper des clients, j'avais commencé à m'occuper des filles, j'avais commencé à avoir d'autres responsabilités et je savais que ce n'était pas terminé : j'avais sa parole. La mort de son beau-père (mon ancien maître) avait été l'élément essentiel de ces changements. Une mort qui avait mis du temps à arriver mais qui avait enfin fini par se produire pour ma plus grande satisfaction et celle de Kaeso également.

Comment ? Si j'ai quoi que ce soit à voir avec la mort de mon ancien maître ? Allons, allons... Qu'allez-vous croire là ?