Vopiscus Loreius Procyon

→ Ce que je pense de Pompéi
Procyon est un idéaliste (certains le diraient même naïf), et, malheureusement, il n'a encore jamais vu Pompéi... ce qui fait que, naturellement, il l'idéalise. Par rapport à sa ville de province, perdue en territoire à peine civilisé, le cœur de l'empire lui apparaît comme la promesse d'un îlot d'activités, de passions, et surtout de savoirs. La vie doit y être passionnante et tellement riche ! pense-t-il. Il a vraiment hâte d'y être.

→ Ce que je pense de la politique
Contrairement à ce que conseillent les ouvrages qu'il lit, le jeune homme n'a jamais vraiment été intéressé par le pouvoir, considérant qu'il se transforme trop souvent en intrigue... Sans doute a-t-il hérité là de l'avis de son père, largement retiré des tumultes politiques. Il pourrait être intéressé par la perspective d'appliquer son savoir pour organiser la cité, mais n'en a sans doute pas les épaules.

→ Ce que je pense des jeux
Les jeux étaient exceptionnels dans sa contrée natale. Il n'est pas certain d'apprécier la violence qui s'en dégage, cependant, il comprend la fascination qu'ils exercent et y cède aussi parfois. Lui-même est, contraint par son infirmité, de nature peu physique, et préfère les jeux d'esprit à ceux qui font appel au corps.

→ Mes souhaits, mes rêves, mes ambitions
Procyon est plein d'ambition ! Simplement, elle ne porte sans doute pas sur la même chose que la plupart des jeunes gens. Comme dit, il n'a pas d'intérêt pour le pouvoir, en revanche, il espère laisser sa marque dans l'Histoire par les travaux érudits qu'il fera. Il est conscient qu'il lui reste beaucoup à apprendre du monde, mais cela ne l'empêche pas de produire déjà des écrits en abondance. C'est un grand travailleur, qui étudie et lit intensivement : récemment, il a décidé de laisser (un peu) les ouvrages de côté pour être plus attentif aux hommes.

→ Ma pire crainte
On ne peut pas dire que le patricien ait jamais fait preuve d'un courage exemplaire quand risque physique il y a. De même, il tente de se tenir aussi éloigné des conflits que possible, sauf quand ceux-ci le passionnent. Il paraît également avoir une certaine peur des femmes, ou du moins tenter de les éviter (on ne peut pas en dire de même des hommes).

→ Heureusement, les Dieux veillent sur moi.
Il n'est pas particulièrement croyant. On pourrait même dire, un strict minimum. Il aime les idées de l'école pythagoricienne en ce qui concerne le rapport étroit qu'il existe entre les nombres, le divin, et les choses en général.

Cher cousin,

On m'a dit qu'il serait préférable de vous faire parvenir cette missive, pour que vous en sachiez un peu plus sur le parent qui allait vous rendre visite bientôt, c'est-à-dire moi. J'espère que vous me pardonnerez la longueur de ce texte ; j'ai voulu le rendre assez précis, car je sais que vous n'avez de nous presque aucune nouvelle depuis plusieurs années, et que donc vous ne me connaissez pour ainsi dire pas du tout. Il est bien temps que nous en sachions un peu plus l'un sur l'autre... car nous portons le même nom ! Cela pourrait bien être perçu comme un miracle...

Parfois, en effet, je me demande par quel miracle je suis née dans les conditions où je suis née, sans savoir si c'est là une interrogation sotte ou naïve. Je ne parle pas ici de la nature, du moyen ou de la raison de cette naissance, car j'en laisse les causes profondes et les mécanismes mystiques aux dieux. Mais dès lors que ma venue au monde avait été décidée par des puissances supérieures, alors, quelle chance avais-je de naître ainsi homme, romain -patricien qui plus est- fils d'un père bon et fortuné ? C'est une question qu'à tort, on ne se pose pas assez souvent, je crois : elle pousserait à la modestie. Cela pousserait à la modestie, en effet, de savoir que sur les milliers de familles qui peuplent l'empire, il n'y a pas plus d'une cinquantaine de dynasties dont l'on peut descendre pour profiter d'un tel privilège... et qu'il ne tient sans doute pas à grand-chose de ne pas appartenir à la plèbe... et si l'on devait pousser le raisonnement dans des proportions absurdes, aux classes serviles.

Mais je me garde bien, le plus souvent, de faire part de cette question, car je crois que beaucoup en tireraient au contraire orgueil. Ils y verraient une bienveillance divine, et ils auraient peut-être raison... Après tout, « La fortune peut tout, dût-elle nous surprendre, élevant le petit et abaissant le grand. » disait Eurytos de Tarente, disciple de Philolaos. Quant au mérite qu'ils s’octroyaient peut-être, l'interrogation évidente est alors la suivante : peut-il être antérieur à la venue au monde ? J'aurais voulu avoir votre avis. Le mien n'est pas vraiment tranché. Ne raconte-t-on pas que le sage Pythagore connaissait tout des événements de ses vies antérieures ? Le sujet me paraît cependant hasardeux, si je ne devais citer en la matière qu'un seul philosophe, alors j'en appellerais au hiérophante Priscos de Threspotie, qui, riche de son initiation aux grands mystères d'Éleusis, prétendait que...

Oh, mais il me semble que je m'égare. Il me faut raconter ma vie en assez peu de mots, et comme je n'ai pas atteint un âge vénérable, cela ne devrait pas être trop difficile... si je résiste à la tentation des digressions, qui sont dans les mauvaises habitudes que j'ai. Mauvaise habitude compréhensible ! Il est merveilleux de faire étalage de son savoir, non par vanité, mais pour en instruire les autres. Je me pardonne cette faute, car bien qu'elle n'aboutisse pas à des écrits pertinents, elle me paraît être le revers de plusieurs traits assez heureux que j'ai, comme la générosité et le soucis de mon prochain... En ce sens, j'ai entendu dire qu'Aristote le Stragirite avait écrit que tous les hommes désiraient naturellement savoir. C'est toutefois avec peine que je ne peux, fort de la pourtant maigre expérience que j'ai du monde, accréditer pleinement cette plaisante théorie... Ne le pensez-vous pas ?

Que de mots ! … et vous ne savez toujours presque rien de moi. Incapable que je suis de laisser juste quelques indices sur ma vie dans ce long texte... Oh, je vous assure, si je fais synthèse de ma vie, cela ne sera pas long. Mais parler de moi, juste de moi, rien que de moi, c'est un peu gênant, en fin de compte ! Enfin, sans vous tourmenter davantage, je vais me plier à l'exercice avec plus de sérieux. Ce sera court ! Vous êtes, cher cousin, bien prévenu (et j'espère que cela ne vous fera pas trop de peine à votre soif de détails, à moins que vous n'espériez un récit lapidaire ?). Pour exemple ! Si l'on résume ce qui a été dit jusqu'ici, et que vous n'ignorez pas : je suis fils d'un riche citoyen romain, votre oncle, mon père. Il faut y ajouter son tria nomina, C. Loreius Clemens, et la fonction qu'il exerce encore à ce jour, propréteur en ce qu'on appelle depuis cette année seulement la Gallia lugdunensis, ainsi, il avait la responsabilité de quelques armées. C'est plutôt une bonne situation, en réalité, d'être un général de Gaule.

Province sauvage dans laquelle je grandis ! Qu'allait-on y faire ? C'est une question légitime dont vous devez bien avoir quelque idée... En réalité, bien sûr, nous sommes comme vous originaires de Pompéi, ou notre gens a une fortune. Mon père, cependant, n'avait jamais eu de goût pour les intrigues, bien qu'il se destinait aux magistratures. Pire même, les tortueuses luttes de pouvoir lui faisaient peur. Le service obligatoire d'un an dans l'administration provinciale, qui était vécue comme une pénible corvée pour les hommes de la politique, lui apparut comme une excellente alternative aux virulents complots des grandes cités. Du reste, il ne s'était jamais très bien entendu avec son père, notre grand-père, que je n'ai pas connu, et dont vous me direz sans doute des choses (?). Ainsi il partit avec ma mère et mon frère aîné loin des siens, de vous, vers un territoire annexé il y avait encore si peu de temps, et où tant de choses étaient à faire !

Puis, je naquis, et aussitôt, je passai une enfance heureuse. Il n'y eu jamais qu'un seul élément fâcheux dans mes plus jeunes années, et qui me handicape encore aujourd'hui. Je ne vous en parle seulement parce qu'il est question de fournir une description auto-biographique exhaustive, mais tout ça est fort ennuyeux, et je m'excuse d'avance de vous l'infliger. Je vais faire court, vraiment. À l'âge de cinq ans, suite à une malheureuse chute, je me cassai une jambe. Celle-ci fut mal soignée, par négligence peut-être... je n'en garde pas un souvenir très précis. Je songe qu'aujourd'hui, encore que je ne sois pas spécialiste de l'art d'Hypocras, j'aurais pu faire usage d'une meilleure médecine que celle dont j'ai bénéficié. Toujours est-il que l'os ne se ressouda pas correctement, et qu'ainsi, je suis dans l'incapacité de courir, après avoir été longtemps dans l'incapacité de seulement marcher.

Je mis à profit tout le temps que les autres enfants passaient à jouer dehors pour étudier des gros ouvrages que mon père avait amenés avec lui. Je lui en commandais quelques autres, surtout les grecs, qui étaient mes préférés, et dont j'appris vite l'alphabet et la langue. Ah ! Me lancer sur un sujet comme celui-ci est d'une dangerosité que vous n'imaginez même pas ! Je dois prendre sur moi pour ne pas vous citer quelques uns des auteurs que je sais, et ne m'en tenir qu'aux généralités. Je me passionnai ainsi pour les mathématiques et la musique, dont les sages savent qu'il s'agit en fait d'un même domaine, pour les domaines aussi frères de la géométrie et de l'astronomie, aussi, ce qui me valut le cognomen de Procyon. Tous les phénomènes naturels m'intéressaient également beaucoup, et la connaissance en général est toujours pour moi la plus grande motivation.

Voilà ! Nous avons fait un tour à peu près complet du médiocre sujet d'étude que je constitue. Parlons encore un peu du présent et de l'avenir, puis nous pourrons peut-être passer à autre chose... La suite est simple : j'ai maintenant vingt-deux ans, et je suis en âge de pérégriner seul, malgré mon infirmité. Il y a bien des choses qu'on trouve dans les livres, et on pourrait passer sa vie entière à en faire des sommaires... Mais il y a tant d'autres choses auxquelles je ne peux pas accéder en restant en Gaule lyonnaise ! Tant d'hommes, surtout, que je ne peux rencontrer. Heureusement, j'ai la chance d'avoir encore de bienveillantes connaissances à Pompéi... vous, cousin ! Aussi, comme vous ne l'ignorez pas, et si les dieux bénissent mon voyage, je viendrai m'installer pour un temps dans la ville que notre famille n'a jamais quittée complètement.

Je vous embrasse, cher cousin, et vous adresse mes salutations les plus chaleureuses,
Votre humble serviteur, Vop. Loreius Procyon.