Relique du passé. [PV : Philaé]

La soirée s'annonçait mouvementée. Peu de temps après avoir salué nos hôtes, j'avais crû malin de laisser Praedita s'éloigner lorsqu'elle avait prétexté vouloir discuter un instant avec une amie qu'elle pensait avoir reconnu sous son masque. Quelle idiotie de ma part. Je l'avais tout bonnement perdu. Je ne pouvais même pas demander de l'aide aux autres invités à cause de ces maudits masques. Et si par miracle quelqu'un parvenait à m'être utile, il s'en suivrait très certainement de folles rumeurs. Pour ne rien arranger, quelques notables de la ville se sentaient plus libres que jamais. Les propositions indécentes ne tardèrent pas. Si dans d'autres circonstances, j'aurai sans doute bien accueilli l'initiative, ce soir, je n'étais guère d'humeur à jouer en imaginant ma confidente se laisser aller à pareilles dépravations.

Je fis le tour des thermes, saluant un groupe par-ci par-là afin de faire bonne figure. Ne parvenant pas à remettre la main sur la jeune femme, je pris la décision de ne plus lui courir après, supposant que je tomberai dessus sans même le vouloir au cours de la soirée. Cela ne m'empêchait toutefois pas d'espérer la retrouver ailleurs que sous un homme. La tristesse et l'amertume pouvaient pousser à faire des choix regrettables. C'est donc l'esprit plus ou moins tranquille que je participais aux festivités, acceptant du vin, observant les convives. Certains discutaient passionnément, d'autres semblaient envoûter par les protégées de Julia Félix ou par les gladiateurs.

Pour ma part, je pris la décision de m'écarter du gros de l'assemblée afin de rejoindre une partie plus calme des thermes. Un endroit légèrement en retrait, afin d'y souffler un peu. Je pris donc place sur un banc, retirant mon masque l'espace d'un instant. Si le principe était amusant, la pratique était plus ennuyante à cause de la chaleur qui s'en dégageait. Des bruits de pas m'alarmèrent. Replaçant mon masque d'un main, sans prendre le temps de le nouer à nouveau, j'attendis de voir qui approchait. Lorsque mes yeux se posèrent sur cette peau ambrée et sur ce corps si bien dessiné, je reconnus aussitôt une esclave que j'avais aperçu sur un piédestal à mon arrivée. Venait-elle chercher refuge elle aussi ?

« Vous. » Je me redresse lorsque ce murmure arrive jusqu'à mes oreilles. Le ton employé est perturbant, tout autant que la présence du reptile sur le corps de l'obligée de Julia Félix. Il n'y a rien de méprisant, aucune agressivité comme celle que l'on peut parfois trouver chez d'anciens ennemis de Rome. « Pardonnez ma rudesse, je ne m’attendais pas à vous revoir. » Je fouille dans mes souvenirs afin de mettre un visage sur ce corps engageant. De par son statut, je songe en prime abord aux partenaires que j'ai pu avoir au cours de mes escapades nocturnes en compagnie de mon mentor. Je n'ai toutefois aucune idée de l'identité de mon interlocutrice, car si quelques noms me viennent à l'esprit, j'étais jusqu'à récemment un client régulier de certains lupanars. Pourquoi donc serait-elle étonnée de me revoir si j'avais recouru à ses services ? « Je crains de n’avoir jamais eu l’occasion de vous remercier de vive voix pour ce que vous avez fait pour moi. » Plus que les mots, ce sont les gestes qui éveillent tous mes sens. Lorsqu'enfin, le masque est retiré, mon cœur rate un battement. La vision de cette personne ranime en moi des souvenirs enfouis, des moments de ma vie que je souhaitais garder sous clé. Les Dieux m'envoyaient-ils un message ? Imposaient-ils cette femme à mon regard afin de me rappeler qu'après tout, je n'avais pas été qu'un meurtrier durant la guerre ? L'espace d'un instant, je reste figé, laissant le silence emplir la pièce. Seuls nos souffles troublent la quiétude ambiante.

J'arrive enfin à reprendre mes esprits. Je me relève donc, m'avançant de quelques pas vers l'Egyptienne. J'ouvre la bouche mais aucun mot ne souhaite en sortir. Que puis-je lui dire ? Ne se trouvait-elle pas ici par ma faute ? J'avais sauvé sa vie voilà des années, mais par mon geste, ne l'avais-je pas condamné à une vie de servitude alors qu'elle n'était qu'une innocente dans ce conflit ? La vie vaut-elle réellement le coup si elle est déterminée par un autre ? Le poisson voit l'appât et non l'hameçon, étais-je entrain de voir du bon là où il n'y en avait pas ? L'arête est la vengeance du poisson et la gueule de bois, la colère des raisins. Cette rencontre est-elle celle des Dieux pour mon manque de foi ? Instinctivement, je lève la main afin d'effleurer le tissu couvrant l'épaule de l'esclave, comme pour m'assurer qu'il ne s'agit pas d'une hallucination dû à l'alcool. Désireux que mon geste ne soit pas mal interprété, je retire rapidement mon emprise. - J'ignore si le destin que je t'ai offert à cette époque vaut plus que la mort dont je t'ai privé. S'il ne faut pas apprendre aux poissons à nager, je ne suis pas sans savoir la manière dont mon peuple traite généralement ses esclaves. - Ne me remercie pas d'avoir été égoïste. Car c'est ainsi que je le perçois désormais. Il ne faut pas préparer la poêle tant que le poisson est dans la mer, aussi dois-je entendre la réponse de mon interlocutrice pour m'en convaincre. Mais avais-je réellement agis pour mettre fin à une injustice, ou tout simplement pour me donner bonne conscience après les horreurs auxquelles j'avais pris part ?

FEAT PHILAE



Souviens toi.
Qui tu es, d'où tu viens, où tu vas.
Quelque soit le chemin sous tes pas.

     

« L'on ne peut pas dire que j'ai la vie dont j'ai toujours rêvé, c'est sûr.» Le contraire aurait été une révélation surprenante. Rare sont les femmes exerçant ce métier avec plaisir. Un comble, vous l'accorderez. « Mais je sais reconnaître un geste noble quand j'en vois un. » Une nouvelle fois, je m'interroge sur la légitimité de mon geste. J'ignore moi-même si cette entreprise mérite réellement des remerciements. Je me tais toutefois, ne voulant pas rajouter au mal-être de mon interlocutrice. Elle est l'unique personne dans cette pièce que les Dieux plaignent. J'avais eu le choix de mes actions, contrairement à elle. « Si vous n'aimez pas ce que vous faites alors pourquoi le faites-vous ? J'aurais aimé qu'il y ait plus d'hommes de votre valeur dans les rangs pompéiens. » La réponse est complexe. Je ne déteste pas mon rôle en ce bas monde. Je peux même dire que j'aime faire la guerre, je peux même me vanter d'être bon dans ce domaine. J'ai simplement en horreur les travers que cela engendre. Voilà la raison de mes troubles, cette perpétuelle contradiction qui me ronge. « Mon nom est Philaé. » Philaé.. Un nom d'une douceur sans doute comparable aux services qu'elle offre contre son gré. Il est étrange comme une chose aussi banale qu'une prostituée peut devenir philosophique lorsque l'on y voit le reflet de ses propres échecs. - Est-ce ton vrai nom, ou celui dont on t'a affublé pour ta nouvelle existence ? Avant même de lui laisser le temps de répondre, ne sachant pas si elle oserait le faire, sans doute trop bien dressée pour ça, je me présente à mon tour. - Je suis Lucius Aquillius Maximus.

Je me poste face à elle, la dominant de toute ma taille, ne sachant que dire ou même que faire. Que peut-on offrir à un esclave, si ce n'est quelques minutes de son temps ? Sa liberté n'est pas de mon ressort, et même si elle l'était, une affranchie sans soutien finirait pas se vendre à nouveau aux hommes. C'est ce moment que choisisse deux convives pour faire irruption dans la pièce, des coupes à la main. Si la femme glisse une simple allusion, l'homme lui, loue mon mérite d'avoir recours à l'Egyptienne, m'assurant que la qualité est au rendez-vous. Ils sortent ensuite, prétextant vouloir nous laisser une certaine intimité.