Ajax • « What we do in life, echoes in eternity »

→ Ce que je pense de Pompéi
Une cité de province, lieu de plaisance et de vacances pour les riches familles de Rome... L'agitation de sa populace et ses quelques batailles politiques me laissent de marbre. Comment en effet être impressionné par une petite guéguerre qui n'a rien à envier à la guerre civile qu'avait connu Rome jadis et que j'ai moi-même subi ? Pompéi n'est qu'une ville de plus où j'ai fini par atterrir ; cependant il serait probable d'y retrouver de vieilles connaissances capables de me reconnaitre, et cela me serait bien utile.

→ Ce que je pense de la politique
Ma naissance m'avait destiné à ne faire qu'un avec la politique, ses enflammés combats de rhétorique, ses coups bas sans pitié et ses subtilités, mais les dieux – ou les hommes – en ont fait autrement. Après tout, l'arène des gladiateurs est une occupation bien plus simple, et la conquête du pouvoir qui animait les hommes à Rome me manque chaque jour un peu plus : le piquant de la vie de citoyen romain est bien loin derrière moi, je le crains.

→ Ce que je pense des jeux
Je méprisais hautement ce monde où la poussière, le sang et les cris hystériques de la plèbe se mêlent. Je considérais les jeux comme une simple arme politique pour avoir la populace de son côté. Des morts qui étaient comme des pions sur un échiquier qui dépassait le simple amusement. A présent que je suis au coeur de ce monde, ce ne sont plus les gladiateurs que je dédaigne, mais les gens amassés dans les gradins scandant leurs encouragements.

→ Mes souhaits, mes rêves, mes ambitions
Parfois je me dis que j'aurais cent fois préféré la mort à mon funeste destin, et à chaque fois, cet impérieux et misérable besoin de vivre reprend le dessus. Rester en vie, retrouver la liberté et mon rang, n'est-ce pas une admirable utopie pour un homme supposé être mort ? Autrefois, je rêvais de gloire, de conquêtes, de victoires. Je voulais apporter honneur et joie à ma famille. Mais qu'est-ce que la gloire, dans ma situation ? Le vain triomphe dans le sang ? L'adulation de la foule ? Non, la seule chose que je souhaite est de retrouver le responsable de mon prétendu trépas, et voir son cadavre pourrir à l'abandon.

→ Ma pire crainte
Après tout ce qui a pu m'arriver, ce n'est certainement pas la mort que je crains le plus, au contraire, elle serait une grande amie si seulement elle venait pour me chercher, moi. Que devrais-je craindre alors ? Peut-être la façon dont je mourrai : dans la servitude, la misère, la crasse, seul ou sans personne pour me donner les rîtes funèbres. Et être condamné à errer dans l'après vie...

→ Heureusement, les Dieux veillent sur moi.
Les dieux doivent bien s'amuser sur mon cas. Serais-je donc une simple plaisanterie de leur part ? Pourtant les dieux n'ont pas un pied de la cruauté des hommes. Je prie la toute-puissance et la justice de Jupiter, mais aussi Mars Ultor (Mars Vengeur) pour qu'il me vienne en aide lorsque le moment sera venu.

Intelligent / Homme d'honneur / Impitoyable au combat / Dédaigneux / Arrogant / Rebelle / Cynique / Indifférent / Silencieux / Franc / Honnête

Novembre 43, Rome.
« Il faut partir, maître Marius ! »
Nonchalamment accoudé à la rambarde de la petite terrasse ocre qui surplombait Rome, Marius, 17 ans, citoyen romain, écouta distraitement l’injonction de l’esclave, concentré sur les rumeurs grondantes de la foule s’élevant au loin. Le ton pressant du servus trahissait l’état de terreur de son propre père qui, après avoir été informé d’un ami proche d’une réapparition des tables blanches de la proscription à l’encontre des anti-césariens dont il faisait partie, avait jugé bon de plier armes et bagages le plus rapidement possible. Marius acquiesça lentement puis abandonna la rambarde, s’empara d’un manteau de voyage et rejoignit sa famille sur le seuil de la demeure, où un chariot et des litières les attendaient.
Le voyage serait périlleux jusqu’à leur villa de Grèce.

Février 39, Rome.
« Tu ne peux pas faire ça, Marius ! Ce serait trahir l’honneur de notre père ! »
L’interpelé se retourna vivement vers son frère Lucius, son cadet de deux ans, et le foudroya du regard. Comment pouvait-il oser contester sa décision en faisant appel à l’honneur ? Que savait-il donc de l’honneur, ce jeune coq prétentieux et ambitieux ? Le jeune homme se contint difficilement, étant à deux doigts de gifler son frère.
Leurs relations n’avaient jamais été très stables, on pourrait même dire que dès leur plus tendre enfance ils avaient été rivaux et dotés de caractères assez opposés. Marius était le penseur indépendant tandis que Lucius se terrait dans les pans de toge de leur père.
« J’ai déjà eu sa bénédiction, mon frère. Personne ne me fera revenir sur ma décision. »
Et il y comptait bien. Il avait l’âge de s’incorporer dans la légion afin de débuter son cursus honorum, et il avait bien l’intention d’offrir son allégeance au triumvir Octave. Il lui semblait que le temps des harangues à la Curie et des batailles législatives était en partie terminé ; il ne restait que trois hommes dans la course et il fallait donc parier sur le meilleur.
Lucius tourna les talons et s’éclipsa en vociférant. Un grondement sourd s’échappa de la gorge de Marius, dont le mépris pour son cadet grandissait de jour en jour.
Leur exil forcé n’avait finalement pas duré éternellement, mais par une prudence justifiée, le pater familias n’avait décidé de rentrer à Rome qu’il y a un an. L’agitation politique et les retournements de situation avaient été trop nombreux pour oser la témérité.

Juin 34, Illyrie.
Les sabots des montures s’enfonçaient dans la boue en même temps que la petite troupe s'engageait dans la brume épaisse. Marius, l’œil au aguets — on l’avait justement surnommé Aquila, l’aigle, en raison de son regard perçant mais aussi à cause de son visage impassible —, n’appréciait guère ce genre de terrain instable, surtout en territoire hostile. La discrétion était de mise car ils étaient censés accomplir une mission de repérage, mais ce temps exécrable ne rendait en rien la partie facile.
Cela faisait déjà cinq ans que Marius servait comme décurion de cavalerie dans la légion. Il avait eu droit à la guerre de Sicile, et maintenant il s’agissait de la campagne d’Illyrie. Le jeune homme était fier de son choix, il n’avait jamais regretté d’avoir choisi le camp d’Octave, gagnant par là une sorte de pardon pour sa famille anciennement vouée à l’exécution.
Ce qui l’irritait, en revanche, était le fait que son père ait plus approuvé Lucius rejoignant Marc-Antoine que lui il y a quelques années.
Marius le trouvait fou. Une guerre risquait de se déclarer à chaque instant entre les deux maîtres du monde ; mais là il ne s’agirait plus seulement de politique, ce serait également un combat fratricide. Le jeune homme secoua la tête pour chasser ces pensées lugubres.
Ils s’avançaient vers l’orée d’une forêt lorsque soudain des sifflements déchirèrent l’air et une multitude de flèches s’abattirent sur le groupe. Les chevaux hennirent tandis que les ordres fusaient. Marius tira son glaive, mais les ennemis étaient invisibles dans le brouillard. Une pluie de traits mortels continuait de les clouer au sol. Le jeune homme fut tout à coup à moitié désarçonné par une flèche qui lui transperça l’épaule. Abasourdi, il se laissa tomber à terre avant d’arracher le dard, se rendit alors compte que ses légionnaires et lui étaient encerclés et que les barbares attaquaient.
La rumeur des cris sauvages s’éleva et il eut à peine le temps de se relever que les premiers coups résonnèrent avec fracas. Marius se battit comme un chien enragé mais l’ennemi eut raison de lui. La cuirasse transpercée, touché à l’abdomen, le decurion s’écroula à terre en apercevant, au loin, ses compagnons être massacrés.

La mort ne voulait cependant pas de lui. Il reprit conscience subitement, en avalant de grandes gorgées d’air, se rendant compte que plusieurs corps romains et barbares le recouvraient. Et qu’un silence de mort s’était installé. Le jeune homme se dégagea faiblement, se débarrassa tant bien que mal de son armure et de son casque, pour mieux ramper hors de cet endroit.
Il fut à peine dans la forêt, la tunique maculée de sang (du sien et de ceux qu’il avait tués) et la peau crasseuse, que quelques hommes, trois ou quatre il ne saurait le dire, reparurent sur le champ de bataille afin d’entasser les corps romains. Le cœur battant, Marius se cacha derrière des troncs à terre et regarda discrètement ces chiens de barbares mettre le feu aux cadavres.
Alors, un autre protagoniste apparut ; un romain qui sembla… remercier ces hommes en leur montrant quelques coffres, dont Marius soupçonnait qu’ils étaient pleins d’argent.
Mais ce n’était pas cela qui le préoccupa le plus.
Ce Romain. C’était son frère.

Le jeune homme aurait certes préféré plonger son glaive dans la gorge de cet infâme traitre, mais il n’avait plus d’armes et en plus il était gravement blessé et affaibli. Aussi utilisa-t-il ses dernières forces pour s’éloigner le plus possible du carnage, essayer de retrouver le campement des légions. Il courait, ou plutôt clopinait tant bien que mal, s’écroulait souvent, mais se relevait toujours.
Cependant les forces l’abandonnaient et il dut se résoudre à se laisser tomber à terre au bord d’une rivière boueuse.
Il articula avec peine cette promesse que jamais il n’oublierait. « Je te tuerai ! »
Et le voile de l’inconscience l’enveloppa.

Année 32, Sicile.
Le fouet déchira l’air tandis que la cadence résonnait haut dans le ciel. Marius serra les dents tandis que son dos endurci supporta la lanière une fois encore. Il tira sur sa rame comme les autres esclaves.
Alors qu’il se mourait doucement au bord de la rivière, il fut découvert par un petit groupe de Daces. Ils s’en emparèrent et, au lieu de le tuer, se contentèrent de le remettre en état afin de le revendre à un marchand à un prix raisonnable, qui lui même s’en débarrassa aux galères pour presque le double, assurant que c’était un étranger vigoureux.
Marius n’essaya même pas d’expliquer qui il était réellement ; de toute manière, il n’avait rien pour prouver ses dires et personne ne l’aurait écouté dans ces provinces. Le jeune homme s’était abandonné au silence. Et au désir fou de la vengeance.

Le propriétaire des navires fit faillite et dut se résoudre à vendre une grande partie de ses esclaves. Marius fut acheté à Syracuse par un laniste. Il aurait dû servir de spectacle en mourant dans l’arène, mais quelque part au fond de lui, le jeune homme n’avait pas envie de mourir comme une vulgaire chose. Alors il survécut et devint gladiateur.
Il choisit d’être hoplomaque et abandonna son nom pour celui d’Ajax, en référence au héros Achéen Ajax le Grand. Marius s’oublia dans le sang de l’arène, se révélant être un guerrier féroce ne montrant aucune compassion. C’en était fini du patricien mesuré et prudent.

Janvier 27, Pompéi.
Moins d’un an plus tôt, Marius se retrouva au ludus des Naevii. Il avait apparemment fait bonne impression au laniste qui l’avait racheté à la fin des combats à Syracuse. Il avait arrêté de se conduire comme un animal sauvage dans l’arène, devenant alors un prédateur jouissant d’une grâce mortelle.

Dans la pénombre de sa cellule, accolé au mur froid et humide, Marius souriait. Une esquisse mêlant à la fois ironie et un brin de malice. Voilà qu’il avait entendu que des nouveaux jeux allaient être organisés en l’honneur d’Octave. Il avait fini par prendre le dessus, comme le jeune homme l’avait parié secrètement il y a bien longtemps.
Lucius devait s’en mordre les doigts.
A cette pensée, son sourire se figea et disparut instantanément.