- Pirus, occupte-toi de cet enfant ! Il embête plus qu'autre chose les autres esclaves ! Ordonna la domina au medicus de la famille.
Ce dernier d'une quarantaine d'années prit l'enfant en pleurs et le guida jusqu'à la salle réservée aux esclaves. Sans tarder davantage, il prit une bassine d'eau, un chiffon et se mit à décrasser le garçon. Il ne se montra pas des plus doux et ignora longuement les pleurs et les suppliques du garçon, n'hésitant pas à lui asséner quelques petits coups quand ce dernier se montrait trop exubérant ou trop insupportable.
- Arrête de pleurer ou tu vas finir aux mines très vite. Cette menace ne signifiait encore rien au petit garçon et il continuait à se montrer des plus capricieux et des plus pleurnichards. Cependant ses grosses larmes n'attendrissaient en rien le medicus. Ce dernier ne supportait plus davantage la voix nasillarde de l'enfant et le gifla violemment. L'effet fut instantané. L'enfant arrêta de pleurer et regarda, interloqué, cet homme. Ce dernier comprit pour sa part que l'enfant n'avait jamais été giflé de toute son existence. Un petit esclave chéri par sa mère - ou son père.
- Tu es seul maintenant gamin. Tu dois apprendre à te débrouiller tout seul. Si tu continues à pleurer comme une fillette, on n'hésitera pas à te frapper plus fort ou à te fouetter. Tu es un esclave, tu dois donc obéir. Si tu obéis bien, tu seras bien traité.
- JE VEUX VOIR MAMAN ! Hurla l'enfant. Cependant, la première réponse qu'il reçut fut une autre gifle.
- Tu ne la verras pas avec un tel caractère. Si tu es un bon esclave, ton dominus sera bon avec toi et peut-être que tu reverras ta mère. Tu comprends ?
- Oui, se contenta de dire l'enfant en ravalant ses larmes. Il ne souhaitait pas une troisième gifle.
- Alors répète ce que tu dois faire.
- Je dois obéir à mon dominus.
- Répète encore. Ainsi durant toute la soirée, le jeune garçon avait répété encore et encore qu'il devait obéir à son dominus, le servir, être silencieux, être toujours propre - autant que pouvait l'être un esclave -, être aimable, respecter sa domina et plusieurs autres petites règles fortes simples. Dès cet instant ce medicus devint un soutien précieux pour Milo, un mentor instruit et surtout, un père.
*
- Dis Pirus, c'est quoi une louve?
- C'est la femelle du loup, répondit le medicus le plus naturellement du monde.
- Mais … non.
Pirus soupira. Milo avait maintenant sept ans et il s'était calmé, et pleurait moins sa mère. Suite aux supplications de Pirus et à l'exposition de la situation du gamin à Kerta, cette dernière conseilla et réconforta comme il se devait son fils afin qu'il soit moins pleurnichard, plus obéissant et plus reconnaissant envers son dominus pour sa position confortable. En bon enfant obéissant à sa génitrice, il y cru dur comme fer et s'adapta enfin à sa nouvelle vie. Il était des plus dociles, il posait rarement des questions, il ne disait jamais non et il était excellent dans les tâches qui lui étaient confiées - enfin certaines. Si on lui demandait de porter des poids lourds ou de s'occuper des chevaux, il était des plus maladroits et avait le don de se briser quelque chose. Par contre, quand il était question de récolter des plantes ou alors accompagner le medicus à la chasse aux plantes dans diverses régions, il était un expert et rendait une fière chandelle à ce dernier en escaladant arbre ou pic ou en s'aventurant dans les marécages ou zones boueuses. Depuis l'arrivée de Milo, le medicus "mouillait" rarement sa chemise. Peut-être devrait-il se sentir coupable mais que nenni ! Il était même fier. Ce gamin n'était pas un patricien ou un plébien, ni un citoyen libre, mais un esclave. Il se devait d'être dur et endurant, et ne poser que très peu de questions. Moins il savait et mieux c'était. L'ignorance était la clé de survie d'un esclave.
Cependant, malgré cette docilité, il lui arriva d'insister de temps à autre. Il ne le faisait jamais avec son dominus et très rarement vis-à-vis de Pirus - qui n'hésitait pas à se montrer brutal pour le remettre sur "le droit chemin" s'il abusait -. Autant dire que l'adulte arrêta sa tâche pour fixer longuement le petit bonhomme. Il était prêt soit à répondre de manière civilisée, soit à le gifler violemment pour son "insolence" et la "perte de temps" qu'il occasionnait. Il était peut-être dur mais c'était pour son bien. De plus, s'il ne s'imposait pas durement sur ce gamin, rien ne l'arrêterait. Il restait un garçon au final.
- Eh bien je discutais avec les autres esclaves. Ils m'ont demandé où travaillait ma mère, dans quelle maison. J'ai dit qu'elle travaillait dans une auberge. On m'a demandé si elle était serveuse ou non, j'ai dit que je ne savais pas. Je sais juste que c'est une très belle femme ! Et ils m'ont dit qu'elle devait être une louve alors, et que je n'étais qu'un bâtard. Et un bâtard, c'est un fils qui n'a pas de père et de mère mariés. On m'a dit ça.
Pirus avait eu le temps de se renseigner sur la mère de l'enfant et même la rencontrer brièvement pour lui demander de raisonner son fils - car Kerta restait cette figure maternelle idyllique pour l'enfant -. Il savait donc très bien sa condition, et il savait aussi qu'un jour il faudrait l'expliquer au garçon. Mais sept ans, n'était-ce pas jeune ? Même pour un esclave ?
- Ecoute Milo, tu veux protéger ta maman ?
- Oui !
- Sache qu'il ne faut pas en parler alors.
- Pourquoi ?Elle est très belle et …
- Non Milo. Ecoute, tu es petit encore et tu ne comprendras pas maintenant, mais pour le moment écoute moi. Tu sais que j'ai toujours raison n'est-ce pas ?
- Oui mais … c'est ma maman. Sa tâche allait être rude et elle ne se résoudra pas avec une gifle cette fois-ci. De plus, il ne voulait pas ternir cette image maternelle si vite. Esclave ou non, un enfant n'avait pas à voir celle qui lui a donné la vie d'une mauvaise manière surtout si elle l'aimait, car elle l'aimait. Il l'avait vu.
- Milo, dans la vie, tu vas rencontrer beaucoup de gens méchants. Pour ne pas les attirer, ne parle pas de ta vie à personne. Moins on sait sur toi, et mieux c'est. Par exemple, pour avoir un enfant, il faut avoir un papa et une maman, et ils doivent être marié. Mais il arrive que certains enfants n'ont pas de papa ou de maman ou les deux. Il arrive que les papas et les mamans ne soient pas mariés. Ces gens-là sont mal vus mais il ne faut pas Milo, et sais-tu pourquoi ?
- Pourquoi ? Répéta l'enfant, soudainement curieux.
- Parce qu'on ne sait pas pourquoi. Ton papa est peut-être en voyage, peut-être qu'il était méchant … On ne sait pas pourquoi ta maman est sans un époux Milo. On ne sait pas pourquoi elle travaille à l'Auberge. Et les gens qui ne savent pas sont très méchants. Mais moi je sais quelque chose sur ta maman.
- Quoi? s'empressa de demander l'enfant.
- Elle t'aime Milo. Une maman aime toujours son enfant. Elle t'aime plus que tu ne l'aimes, ne l'oublies jamais. Et si elle t'a vendu à notre dominus, c'était pour te protéger et t'offrir une bien meilleure vie. Regarde toi Milo, tu es bien ici non ? Tu récoltes des plantes, tu rends heureux ton dominus et ta domina, tu manges à ta faim, tu es en bonne santé et tu vois assez souvent ta maman. Tu es heureux non ?
- Oui !
- ET tout ça grâce à ta maman. Mais personne ne le sait parce que personne ne la connaît. Tout le monde sera alors méchant avec elle. Pour la protéger, pour prouver que tu l'aimes, n'en parle à personne, tu as bien compris ?
- Je crois … A nouveau, les jours suivants, Pirus lui fit répéter cette même phrase "ma maman m'aime et est ma maman. Personne n'a le droit de dire de méchancetés sur elle. Je n'ai à la raconter à personne parce que c'est ma maman". Ainsi, les années suivantes, le gamin développa une grande capacité à garder les secrets. Aux yeux de la maisonnée, il était Milo, l'esclave simple d'esprit qui était bien trop stupide pour dévoiler les secrets pour une quelconque intrigue. Tantôt un avantage, tantôt une fatalité. La suite vous le démontrera.
*
- Très bien Milo. Encore une fois, tu ne t'es pas trompé, félicita Pirus.
Peu d'esclaves arrivaient à retrouver toutes les plantes voulues par le dominus du premier coup car beaucoup avait une mémoire visuelle ou orale - mémoire bien inutile face aux plantes . Par contre Milo réussissait à chaque coup car monsieur avait une mémoire olfactive et gustative. Il pouvait oublier aisément des noms ou des visages, mais il se souvenait parfaitement de chaque fragrance et de chaque goût et il utilisait cette capacité pour retrouver les plantes.
- Merci Pirus, répondit fièrement le jeune homme.
Pirus vieillissait alors que Milo grandissait et gagnait en beauté et en force. Ses nombreuses heures d'escalades ou de marches à la poursuite d'une quelconque plante l'avaient rendu endurant et des plus musclés - même musculature que le medicus par le passé -. Ces changements ne passèrent pas inaperçus aux yeux de l'homme habitué à la maisonnée et il vit rapidement le "danger" qui planait sur la tête de Milo.
- Décidément, tu es bien le fils à ta mère.
- Pardon Pirus, demanda Milo.
La pauvre enfant ne comprit pas l'allusion. En fait, d'une certaine manière, le medicus voyait bien que l'enfant avait hérité de la beauté ravageuse de la mère, chose dont il aurait voulu s'épargner. Il fallait qu'il prenne à nouveau ses précautions pour son protégé.
- Tu ne te laveras plus qu'une fois par semaine. Quand tu te laveras, tu devras le faire la nuit quand tout le monde dormira. Tu ne porteras que ces guenilles. Et je t'assigne à la couche à côté des chevaux.
- Pourquoi? s'insurgea Milo.
- Milo, se contenta de dire Pirus, le ton menaçant.
L'enfant - ou adolescent vu qu'il avait quatorze maintenant - se tut immédiatement. Son mentor avait parlé et il n'avait aucun droit de critiquer son jugement. D'ailleurs, si jamais il l'osait, il avait droit à de terribles coups de fouet - les gifles n'ayant plus grands effets-. Il dû adopter ce régime et, à contrecœur, dégoûter plus d'une femme dans son entourage. Pirus le vit et en était des plus contents. Jamais la domina, des plus lubriques, ou sa fille, qui lui ressemblait beaucoup malheureusement, ne poseront les yeux sur ce gamin sale et puant. Jamais Milo n'aura affaire à la colère d'un dominus trompé.
Sauf que si l'enfant n'attirait plus les regards, il attirait d'autres attentions. Un jour, la domina l'appela et lui demanda de cuisinier un champignon pour le repas du soir à l'attention du dominus. Le jeune homme avait quelques rudiments en cuisine tant en raison de sa mémoire gustative - il savait plus ou moins les ingrédients utilisés dans un plat - que de sa manie à traîner en cuisine - et aider ainsi le cuisinier, et apprendre en même temps -, et accepta cette tâche. Lorsqu'il le cuisina, Pirus entra dans la pièce et lança un regard critique au champignon.
- Qui te l'a donné Milo ?
- Ma domina m'a ordonné de le cuisinier pour mon dominus. Elle dit qu'il adore les champignons.
- Je vois. Milo j'ai moi-même grand besoin de toi. C'est très urgent. Va me chercher quelques plantes, je te promets de surveiller la cuisson. Milo n'était guère rassuré mais il ne pouvait pas contrevenir aux ordres de son mentor. Il se décida donc de lui faire confiance, lui expliquant scrupuleusement ce qu'il devait faire pour ne pas brûler le pas et courut chercher les plantes. Pirus, qui fut étonné de la minutie du garçon pour la cuisine, ne respecta rien de tout et laissa brûler le champignon venimeux. Car oui, la domina ne semblait pas apprécier son époux ces derniers temps et cherchait à l'éliminer pour X raisons. Pirus ne s'en serait pas mêlé … si la domina avait été une femme intelligente. Sans le dominus, la maison ira droit à sa perte car la domina connaissait rien en affaire ou en gestion ou en économie. ET si la maison se ruinait, les esclaves allaient être revendus au quatre coin du monde et il n'avait aucune envie de remonter dans un char.
Lorsque Milo arriva et vit avec horreur que son plat avait brûlé, il eut le visage décomposé. Quant à la domina, sa colère fut assez grande et elle fouetta durement le pauvre esclave. Ce dernier ne pouvait pas accuser son mentor pour deux raisons. D'une, il respectait trop Pirus. De deux, c'était lui qui était en charge du plat et non Pirus, et c'était donc sa faute. Le dominus ne soupçonna pas que son épouse soit injuste et qu'elle tentait de le tuer car elle sortit une excuse banale : l'esclave venait de détruire un petite cadeau qu'elle souhaitait faire à son époux. Ce dernier, fou amoureux de son épouse, y crut.
Depuis ce jour, Pirus mit un point d'honneur à enseigner à l'enfant toutes les plantes venimeuses, potions et anti-poisons discrètement et demanda au dominus de la maison de confier le garçon aux cuisines en raison de sa facilité avec les plantes aromatiques et sa capacité à se souvenir de chaque plat. Pour arguments, il disait que l'enfant pourra aisément réaliser à nouveau les plats délicieux goûtés à l'étranger. Le dominus y crut encore une fois et déchargea l'enfant de la collecte de plantes. Il y pouvait encore mais s'il était libre. Par cette manœuvre, Pirus s'assurait que la domina ne pourra plus empoisonner le dominus. Cette dernière comprit aussi et se calma drastiquement.
- Dis moi Pirus, pourquoi la domina me demandait un moment de cuisiner toutes ces choses étranges … tu crois qu'elle voulait tuer notre dominus ?
- Arrête d'être stupide Milo ! Elle est juste bien trop bête et trop désireuse de plaire à son époux. Elle ramasse tout ce qu'elle trouve de beau mais le beau n'est pas forcément bon. IL peut être dangereux. Mais ne le dit pas sur tous les toits, tu sais à quel point notre domina est susceptible. Milo eut du mal à croire mais s'y obligea. Pirus avait parlé.
"Moins il en sait et mieux c'est" se contenta de penser le medicus.
*
- Quoi ? Tu n'as pas encore vu un homme nu alors que tu es entouré d'esclave Ursa ? s'étonnait une amie à la fille de la domina de Milo.
- Non. Père en serait furax! Se contentait de répondre l'adolescente.
- Mais ton père n'en saura rien ! Il y faut remédier ! Viens, suis-moi, trouvons un esclave ! Sans attendre une quelconque réponse, les deux adolescentes se levèrent et allèrent à la chasse aux esclaves. En chemin, elles tombèrent sur le pauvre Milo. Cependant Ursa n'en voulait pas du tout ! C'était l'esclave le plus puant de la maison - toujours sentant la friture ou le poisson ou le cochon - et il dormait sans cesse aux côtés des chevaux, rendant son odeur corporel carrément insupportable pour son nez de plébienne. Mais l'amie d'Ursa s'en contrefichait. Elle voulait montrer à son amie un homme nu et ne pas le chevaucher.
- Appelle-le.
- Mais …
- Appelle-le te dis-je !
- MILO ! Le blond leva sa tête, abandonna sa tâche de récolter deux trois plantes aromatiques pour le repas de ce soir et accourut auprès de la fille de son dominus. Les deux filles lui demandèrent son âge et il y répondit - quinze ou seize ans - et l'amie d'Ursa conclut qu'il devait avoir plus ou moins une "taille" acceptable. Milo ne fit qu'arquer les sourcils, ne comprenant pas vraiment de quoi elles parlaient. Inconsciemment, naïvement, il se mesura de la tête aux pieds.
- Je vais encore grandir selon Pirus, finit-il par répondre fièrement.
Après un moment de silence, les deux filles éclatèrent de rire. Milo ne sut que faire et se contenta d'émettre un petit rire protocolaire. Aussitôt après, elles lui demandèrent de le suivre et il le fit sans trop se poser de question. Ce n'était pas la première fois que la fille de son maître avait besoin de son aide pour une quelconque tâche. Isolés, et à l'abri de beaucoup des regards, les filles finirent par lui demander de se mettre nu !
- Je ne peux pas domina. Votre père sera furax à votre égard.
- Fais ce que je te dis ! Répliqua Ursa, énervée que cet esclave d'habitude si obéissant ose objecter.
- Domina, il en va de votre honneur. Votre père et Pirus m'ont toujours dit qu'une femme ne devait voir qu'un homme nu, et c'est son époux.
- Milo … ose encore me contredire et je te condamne aux mines ! Je le jure par tous les dieux.
Les mines étaient la grande crainte de Milo et à ce jour, seuls le dominus, Pirus et cette fille le savaient. Le Dominus et Pirus furent à l'origine de cette peur, et la fillette le sut lorsqu'une fois, son père menaça Milo avec les mines. Elle garda ce "secret" pour elle, l'usant dans ce genre de demandes saugrenues. La menace fonctionna et le blond se mit nu. A cet instant, Ursa comme l'amie le virent d'un tout autre œil. Sous cette paire de guenille puante se cachait un blond aux yeux bleus et au torse musclé … Elles ne le virent plus comme un esclave mais comme un homme. Milo sentit ce changement de "vision" et n'en garda pas un bon souvenir. Si c'était ça se sentir "homme libre", il préférait rester "l'esclave puant". Il n'était pas à son aise.
- Puis-je me rhabiller domina ?
- Ou …
- Non Ursa! Attend, je ne t'ai pas tout montré. Tu dois maintenant comprendre le mécanisme d'un homme ! Tu verras, c'est drôle ! Et l'amie continua son manège et ses cours sur l'anatomie masculine. Cette journée fut la plus humiliante de son existence, et c'est honteux qu'il rejoignit sa couche. Pirus remarqua le malaise mais ne reçut aucune réponse à ses nombreuses questions. Cependant, les regards étranges d'Ursa à l'égard de Milo, l'appel incessante de cette dame pour les services de son protégé ne lui échappèrent pas. Lorsqu'il insista longuement, durement et violemment, il obtint sa réponse. Il se contenta de lever les yeux aux ciel et enclencha un petit mécanisme au sein de la maisonnée : le mariage d'Ursa. La fillette devait se marier avant de commettre la moindre erreur. Il voulait préserver son dominus à la santé déclinante ainsi que la vie de son esclave chéri. Ainsi la petite Ursa se maria et quitta la demeure. Si Ursa piaillait de frustration - elle avait à épouser un homme bien ridicule en comparaison de Milo -, l'esclave s'en portait délicieusement bien. La maison était devenue bien plus respirable sans la présence de la fille de son dominus !
*
- Ah Milo ! Tu cuisines divinement ! Je suis un dominus bien chanceux.
- C'est moi qui suit l'esclave le plus chanceux maître. Vous êtes si bons avec moi.
- Allez va, je n'ai plus besoin de toi. Il quitta la pièce comme une petite souris et se dirigea tout droit vers sa couche de fortune. Ils étaient à Pompei à l'occasion des jeux mais contrairement à son habitude, soit courir les rues pour rencontrer des Gladiateurs ou voir sa mère, il se mura dans un silence inhabituel et alla se coucha. Pirus le remarqua à nouveau et se demanda si son protégé n'était pas malade.
- Milo, tu ne vas pas rendre visite à ta mère ? Elle doit t'attendre. Es-tu malade ?- Je ne veux pas cette femme, cracha le jeune homme en insistant sur le "cette" avec mépris.
Ce ton choqua littéralement Pirus. Depuis quand Milo parlait ainsi de sa mère parfaite ?
- Et pourquoi ?
- Pourquoi ? Tu le sais mieux que moi Pirus! De toute façon, elle doit être occupée la louve ! La gifle partit tout seul. Cette dernière n'était pas douloureuse et pourtant elle fit un grand mal à l'orgueil de l'adolescent de seize ans révolu. Des larmes de rage commençaient à perler et il les retint difficilement. Il détestait son maître de lui avoir caché cette vérité, il le détestait de l'avoir frappé injustement - car le blond avait raison ! - et il détestait plus que tout sa mère. C'était un monde qui s'effondrait.
- Comment oses-tu espèce de morveux ?
- C'est la vérité ! C'est une catin ! Une louve ! Une pu …il fut interrompu par une autre gifle bien plus violente.
Cependant, les gifles ne lui semblaient pas la solution appropriée. Sans tarder, Pirus prit l'enfant par ses oreilles et le traina jusqu'à la cour. Il s'empara de sa propre ceinture - qui maintenait un petit sac médicinal - et asséna publiquement des coups violents au dos du garçon. Si jusqu'à là il avait été fouetté de temps à autre par sa domina, ses coups ne représentaient rien comparés à ceux de Pirus. Le medicus frappait fort et sans une once pitié, arrachant quelques lambeaux de peau à force de taper encore et encore aux mêmes endroits. De temps en temps, pour éviter de laisser trop de trace, il frappait ailleurs comme les bras ou les jambes. Pirus avait été sûrement l'homme le plus dur et le plus impitoyable avec Milo mais jamais ses coups n'avaient été asséné gratuitement ou sans raison. Chaque geste avait son explication. Il pouvait paraître bourru ou froid ou sarcastique, mais il restait un homme responsable et bon envers ce petit esclave pleurnichard qui lui était tombé comme ça un jour. Actuellement, même ce geste avait un but autre que "punitif".
Malgré l'heure tardive, une petite foule s'était formée pour assister aux cinquante coups de ceinture que le blond recevait. Cependant, comment réussir à dormir alors qu'au bas de sa demeure, un jeune adolescent hurlait de douleur, aboyait à l'aide et implorait la pitié. Cependant, cette voix finit par s'affaiblir au fur et à mesure pour finalement être condamné au silence. Il n'avait plus la force de crier ou alors il n'avait plus de voix.
- Que fais-tu Pirus ? Demanda le dominus qui avait finalement quitté sa couche de malade pour voir ce qui se passait en bas.
- Ce garçon s'est montré impertinent et insolent. Je l'ai vu voler une bouteille de vin dans votre réserve.
- Soit. Le Dominus était bien trop malade pour s'insurger ou chercher plus loin. De plus, il appréciait son jeune esclave Milo et faisait grandement confiance à son esclave-medicus Pirus pour éduquer le jeune blond et l'empêcher de commettre d'autres bêtises. Finalement, au bout du cinquantième coup, Pirus lâcha sa ceinture, la foule se dispersa et son dominus alla se recoucher.
Le silence semblait régner en maître à nouveau dans cette petite cour et pourtant, si on écoutait attentivement, on pouvait entendre les petits gémissements de Milo. Il n'osait pas bouger tellement il avait mal et qu'il craignait d'avoir davantage mal. Cependant, si lui s'entêtait dans un immobilisme parfait, le vent semblait vouloir poursuivre le martyr en léchant ses plaies ouvertes, les rafraîchissant et lui arrachant des larmes et des cris étouffés. Cette chaire à vif, écorchée, lui faisait mal.
- Une louve est la femelle du loup. C'est ce que je t'ai dit la première fois que tu m'as posé la question. Sais-tu ce que je t'ai dit d'autre ? demanda Pirus tout en avalant tout un verre de vin. Cette "activité physique" lui avait donné grande soif, et seul le vin pouvait alléger un tantinet sa conscience. Cependant, c'était nécessaire !
L'enfant ne répondit pas et hormis ses gémissements, ses sanglots ou ses grognements - qui étaient en fait des demandes à l'aide -, il n'obtint rien. Mais ce soir, personne ne lui viendra en aide. Pirus resta assez longtemps pour s'assurer que les rues s'étaient vidées et que personne ne viendra alléger les souffrances du petit. Il devait sentir chaque coup et le graver dans son esprit.
Il soupira longuement et finit par abandonner l'enfant là. Il disait qu'il allait prévenir Kerta que son cher fils était trop occupé avec les demandes du dominus malade et qu'elle ne pourrait le voir ce séjour-ci. L'enfant n'entendit que cette fin et gémissait de plus belle. Il avait pu être insolent mais dans le fond, il aimait encore sa mère et souhaitait la voir. Mais, il ne put formuler penser davantage car une douleur des plus violentes le prit et lui fit tout oublier. Lorsque son mentor arriva, la mine bien lugubre, il ne se contenta que de le regarder, en quête d'une réponse ou d'une aide. Peut-être espérait-il voir sa mère derrière Pirus, peut-être espérait-il la voir le soigner avec ses douces mains. Que nenni ! Aucune mère en vu.
- Eh bien … Les Dieux sont avec toi fiston ! Toi qui semble tant haïr ta mère pour ce qu'elle fait vient de t'être enlevée. Et voilà un souci en moins dont te préoccuper.
- Qu … oi ?! l'esclave voulut se lever mais il ne pouvait pas. La douleur le paralysait littéralement.
Comm…ent ?!
- Je ne sais pas si tu as fait une quelconque prière aux dieux comme punir ta mère mais toujours est-il qu'ils l'ont sévèrement punis. Elle est morte. Il arrêta de respirer. Il arrêta de penser. Il arrêta de vivre. Il ne pouvait pas croire à une telle chose. Kerta ne pouvait pas mourir. Sa mère ne pouvait pas l'abandonner là.
La louve était redevenue mère. La louve avait complètement disparu.
Incapable de bouger, accablé par la douleur, détruit par cette mort, il se laissa aller dans un sommeil perturbé. Le petit avait eu droit à une belle fièvre pour les jours suivants et c'est à peine s'il remarqua qu'il quittait Pompei avec son dominus et son mentor. Même réveillé, il mit quelques jours avant de se remettre sur pieds et reprendre ses services. Cependant, malgré la douleur lancinante, les tiraillements de ses plaies à peine refermées, il accourut auprès de son dominus pour lui réclamer une faveur : visiter la tombe de sa défunte mère. Le dominus le regarda avec stupeur, appelant une esclave pour emmener Milo dans le lit. Il devait encore déliré en raison de la fièvre.
- Ta mère est vivante Milo. Que me racontes-tu ? Elle m'a même donné un petit présent pour toi avant notre départ. Mais comme tu étais mal en point, Pirus a préféré ne pas te montrer à ta mère dans ce triste état.Les yeux de Milo se remplirent de larme. Des larmes de bonheur. Sa mère était vivante. Elle n'était pas morte comme Pirus l'avait dit. Par contre, à peine avait-il pensé à son mentor qu'une vague de colère terrible s'empara de lui. Il prit congé de son dominus, oublia le présent, et courut tout droit auprès du medicus.
- Oh tiens ? Ce n'est plus une louve ? Ce n'est plus "cette" femme ? C'est à nouveau ta mère ?
- Elle l'a toujours été ! Répondit-il avec force.
- Oh mais tu l'as insulté non ? - J'ai … j'ai …
- Milo … Veux-tu bien m'écouter maintenant ? Ou souhaites-tu encore cinquante coups de fouets ? Ou cent ?
- Je vous écoute. Il se fichait des coups de fouet. En fait, c'était seulement une façon de parler car pour rien au monde il ne voulait vivre à nouveau cette nuit et les jours de fièvres, de délires et de douleurs qui se sont suivies. Ainsi, respectueusement, il demanda pourquoi Pirus l'avait fait pleuré une vivante !
- On ne choisit pas sa condition d'esclaves. Certains finissent dans des maisons, d'autres dans les champs, d'autres dans les mines, d'autres dans les arènes, d'autres dans des lits. Nous ne choisissons pas nos maîtres. Nous ne choisissons pas nos parents. Quoiqu'il arrive, elle reste ta mère fiston, la seule qui t'aime. Elle aurait pu t'avorter comme toutes ces autres louves mais elle t'a gardé, et même vendu.
- Oui ... j'ai compris. Enfin, je pense comprendre Pirus mais ... C'est ... difficile à accepter.
- Crois-tu qu'elle est fière fiston ? Dis moi, quand Ursa et son amie t'ont demandé à te mettre nu et quand elles ont baladé leur petite main sur toi, avais-tu eu un choix ? Etais-tu fier ? T'en es-tu vanté ?
- Non, admit honteusement le gamin.
- Sais-tu ce que représente la séparation de sa chaire pour une mère ? C'est pire que la douleur que tu as dû supporter durant les deux semaines, pire que mes cinquante coups de ceinture. Chaque seconde est un coup de fouet et ce, durant toute la durée de cette séparation et même une fois ensemble, elle ressentira les années perdues et s'en voudra encore et toujours. Elle t'aime. Elle reste ta mère. Respecte-la. Remercie-la pour chaque souffle de vie. Et tu sais quoi ?
- Quoi donc Pirus ? - Nous sommes tous humains. Nous sommes éphémères. Un jour ou l'autre, on meurt. Elle aurait pu mourir ce soir-là. Elle peut mourir aujourd'hui ... demain, chaque jour. Retiens ça Milo : un jour ou l'autre, chacun de nous meurt. Cette dernière phrase fut la plus dure leçon pour Milo. Oui, sa si merveilleuse et forte mère pouvait mourir. Elle était toujours belle mais elle vieillissait comme tout être normal. Lors de sa prochaine visite à Pompei, il courut la voir et la serra fortement dans ses bras, complètement en larmes. Il ne dit rien à Kerta et Pirus se contenta de dire que c'était "un grand bébé".
*
- Vendu ?
- Oui Milo. Mon époux est mort et beaucoup des accords commerciaux se sont brisés. Je n'arrive plus à subvenir à nos besoins. Je me sépare malheureusement de toi. Enfin … ne soit pas trop inquiet sur ton futur dominus. C'est celui de ta mère. Tu vas enfin la rejoindre ! Dès demain, tu vas à Pompei avec le reste des esclaves. Il n'eut rien à dire d'autre. Il dû quitter la pièce. Pirus était au courant de cette vague de vente d'esclaves et lui-même allait en être victime un jour ou l'autre. Oui, il était peut-être "medicus" mais il était avant tout un esclave. Lorsqu'il entendit où était vendu Milo, il ne montra en rien son malaise. Kerta avait dû insister pour le rachat de l'enfant car pour le peu qu'il avait vu l'aubergiste, ce dernier se fichait royalement du gamin. Mais pourquoi la mère avait tant insisté ? Pour garder son fils à ses côtés ? Elle commettait là une erreur, elle jouait là avec le feu. Son fils ne voyait en rien ce qu'elle faisait et continuait à la voir davantage comme une "victime". Comment allait-il réagir quand il verra sa mère au quotidien, quand il verra le visage de cette louve à l'aise dans son environnement ? Le lendemain pointait bien trop vite son bout de nez pour Pirus et c'est avec un grand chagrin qu'il quitta son protégé.
- Pas d'aventures avec n'importe quelle fille. Tu risques de choper une sale maladie et te retrouver sans queue. Si elles sont malades, tu sais comment le deviner. Pas d'insolence envers ton dominus sinon tout droit aux mines.
- Oui Pirus. Je connais tout ça depuis petit.
- Ecoute mon dernier conseil attentivement fiston. On meurt tous un jour. Et respecte toujours ta mère. Toujours.
- Je sais, répondit l'enfant comme si c'était une évidence.
Pirus donna une accolade solide et laissa partir finalement son protégé, le cœur bien lourd. Qu'allait-il advenir de ce gamin dans une auberge & lupanar ? Comment allait-il ne pas tomber dans les pièges des villes comme Pompei ? A cet instant, Il détesta sa domina plus que tout et il eut une envie, sa première véritable envie qu'il était esclave, soit gagner sa liberté et rejoindre Milo.
*
Il ne comprend rien. La ville de Pompei est une véritable fourmilière incongrue. Les habitants sont des êtres aux lubies aussi étranges que ridicules. Sa nouvelle vie ne lui plaisait pas du tout mais il ne montra en rien son amertume à sa mère afin de ne pas l'attrister. Cette dernière semblait si heureuse d'avoir son fils enfin à ses côtés tous les jours. Il aurait pu l'être également mais trop de choses tâchaient ses bons sentiments et ses moments de joie.
Commençons par son maître. Milo pouvait être un esclave docile illettré mais il n'était pas stupide. Ce type n'était pas un marchand honnête comme son ancien dominus. Son attitude, sa façon de parler … il détestait tout en ce type. Cependant, il obéissait. Pirus l'avait bien éduqué.
Continuons avec sa mère. L'image qu'il avait d'elle se dégradait de jour en jour. On ne dirait pas vraiment une "victime". A croire qu'elle appréciait d'être ici et qu'elle ne voulait pas quitter ce lieu. Cependant, encore une fois, il ne dit rien et se contente de sourire et d'obéir. Elle restait sa mère, il l'aimait … et … elle n'avait rien choisi. Dès qu'il avait un doute, il touchait un point au bas de son dos - une extrémité d'une de ses cicatrices laissées au dos par Pirus - pour se souvenir de cette nuit, de la fausse mort de Kerta et de la leçon donnée par Pirus.
Ensuite, il y avait cet Ausonius Niger. Il est tout aussi étrange que Kaeso et lui demande de réaliser des tâches qui ne lui semblent pas très "corrects". Pourquoi doit-il épier tel homme ? Pourquoi doit-il rapporter tel fait ? Pourquoi doit-il récupérer une telle somme alors qu'il n'y avait pas de contrepartie ? Pourquoi dès qu'on disait Niger, Kaeso, Kerta ou Ausonii tout simplement les gens avaient ces yeux ronds et étranges ? Pourquoi ce type l'avait pris sous son aile ? Il n'était pas aussi bon et aussi instruit que Pirus ! Il aurait pu l'accepter comme ami mais comme dit précédemment, les manières de Niger ne le mettent guère en confiance. Ainsi, c'est davantage pour vivre en paix avec son dominus et sa mère qu'il accepte la présence du brun.
Enfin … il a dû mal à nouer des liens tant avec les employés qu'avec les clients. Leur centre d'intérêt, leur problème, leur langage, leur vulgarité … tout dénotait avec son ancien environnement. Il est de plus en plus nostalgique de son ancienne vie et de plus en plus amer de sa nouvelle vie mais personne ne le voit. Milo continue à garder cette attitude simplette et ses manières honorables et pieuses.
Heureusement, dans cette noirceur, il y avait une Ausonii qui détonait et qui éclairait le petit monde bien triste de Milo : Ausonia Rufia. Elle n'avait pas cette insolence ou cette vulgarité des autres louves, elle est bien différente et est si charmante. Le blond s'est senti très vite en confiance avec elle - mais qui ne le serait pas avec une jolie dame ? - et n'hésite pas à venir l'aider ou à l'écouter. Ausonia Rufia lui donne espoir : il y a encore des gens honnêtes dans cette ville.
Sauf que les apparences peuvent être bien trompeuses. Milo l'apprendra à ses dépends.